Quand nos manques, attentes, stratégies, besoins et envies viennent parasiter, paralyser ou pire… détruire la relation…

Par Claire Philips.

Imaginons ensemble que nous rencontrions quelqu’un qui nous attire. Tout de suite, dans les premières secondes, notre mental se met en mouvement. Nous formons des espoirs, avons des attentes, visualisons déjà des projets potentiels à deux, et mettons en place des stratégies pour que ces projets se concrétisent. Des peurs viennent se greffer sur ce que nous pouvons projeter, peur de ne pas plaire, d’être abandonné un jour, d’être trompé …

A l’instant même où la rencontre débute de cette manière, elle est déjà mise en danger et quelque part minée par tout l’édifice mental que nous venons de créer.

Pourquoi en est-il ainsi ?

Pour chacun des deux partenaires, la relation qui débute a pourtant bien la couleur de l’Amour, le parfum de l’Amour, les rituels de l’Amour avec un grand « A » …

Malheureusement, dans la réalité, ce n’est que cette pâle version Canada-Dry de l’Amour qu’est en fait « l’amour à la condition que » !

Et quelles conditions ! C’est « Je t’aime à condition que tu viennes combler mes manques, mes besoins, mes attentes, que tu viennes effacer mes peurs, guérir mes blessures d’enfance… »

Bien souvent nous entendons de nos proches, de nos collègues : « mais c’est ça l’Amour justement ! C’est justement parce que l’autre me manque, que j’ai besoin de lui que je sais que je l’aime ! »

Et voilà bien le problème : la confusion qui existe entre Amour et projections sentimentales ou psychologiques diverses et variées. Lorsque nous projetons sur l’autre nos attentes, nos besoins, nos peurs, nous mettons automatiquement en place des stratégies, des petits jeux de pouvoirs. Nous manipulons plus ou moins gentiment, plus ou moins consciemment mais nous manipulons pour obtenir la satisfaction de nos besoins. Nous avons pour nous-mêmes et pour l’autre un plan… Et si l’autre ne s’y conforme pas, nous sommes déçus, nous souffrons !

Mais nous sentons-nous réellement aimés par l’autre dans ces conditions ? Si nous devons manipuler pour avoir, pensons-nous vraiment que l’autre nous réponde par amour ? En fait, dans ce type de relation, nous ne sommes en réalité pas sincère avec nous-mêmes, nous nous trompons nous-mêmes !

Nous voulons croire que c’est de l’Amour mais savons au plus profond de nous-mêmes que c’est nous qui avons induit les comportements de l’autre. Nous intervenons pour essayer de faire durer plus longuement un état que nous savons, quelque part dans le plus profond de notre cœur, être seulement transitoire. Car pouvons-nous penser ne serait-ce qu’un instant que ce type d’amour est fait pour durer, que l’autre ne va pas finir par se rendre compte qu’il est manipulé ? Quand nous n’accordons pas à l’autre la liberté d’être ce qu’il est ! Nous n’acceptons tout simplement pas l’autre ! Et nous parlons d’Amour ?

Si nous voulons vraiment et véritablement connaître la nature profonde de la relation qui nous unit à notre partenaire, il n’y a que la liberté totale par rapport à l’autre qui puisse nous renseigner efficacement sur ce que nous vivons… Mais bien sûr, comme le dit le personnage d’Alex, joué par Jean Dujardin dans le film Mariages de de Valérie Guignabodet : « La liberté tue les mauvais mariages, mais nourrit les grandes amours » ! Le risque est là pour les mauvais mariages… Mais le bonheur est là aussi dans cette liberté pour les « Grandes Amours ».

Ne préférerions-nous pas que l’autre vienne vers nous dans une totale liberté ? Sans que nous n’ayons rien dû faire pour cela ? Quel cadeau véritable non ?

Le Véritable Amour sans liberté absolue n’existe pas !

Voici une métaphore de ce qui se passe généralement dans le début d’une relation : imaginons-nous dans notre maison ou notre appartement, notre cuisine est désespérément vide. Pas même une vieille biscotte ou un vieux morceau de pain sur le plan de travail… Cela fait des jours que nous n’avons rien eu à nous mettre sous la dent… et impossible d’aller faire les courses, nous n’avons pas d’argent. Notre estomac se tord par le manque de nourriture. Nous sommes en manque… Et nous n’avons qu’une idée en tête : combler ce manque !

Quelqu’un sonne soudain à notre porte. Un séduisant livreur de pizzas nous propose une pizza « gratuite » mais à condition que nous fassions un certain nombre de choses pour lui (cette image est adaptée à un public féminin, mais les hommes peuvent transformer la scène en changeant « ce séduisant livreur de pizzas » en une envoûtante « bombe » qui livre les pizzas à domicile !). Que se passe-t-il ? Nous avons tellement faim que nous acceptons bien sûr la pizza et les conditions. Peu importe les conditions, notre faim nous fait tout accepter… et nous sautons à pieds joints dans le cercle infernal de : « je dois obéir pour avoir… ».

Imaginons maintenant que notre maison ou notre appartement soit équipé d’une cuisine fabuleuse… Jamais besoin d’aller faire les courses ! Il y a un plat qui nous fait envie, il apparaît comme par enchantement, nous ne manquons jamais de rien ! Tout est là en permanence dans l’abondance et la profusion.

On sonne à nouveau à notre porte, le séduisant livreur de pizza de tout à l’heure est toujours là ! Il nous propose toujours sa pizza « gratuite » assortie de son lot de conditions.
 Que se passe-t-il ? Nous laissons entrer ce charmant livreur, refusons poliment la pizza et les conditions. Mais nous lui offrons beaucoup mieux : nous l’installons dans notre cuisine et nous partageons ensemble un vrai repas de fête. Il n’y a pas de besoin, de peur, de manque au milieu de cette relation, de notre côté en tout cas. C’est un vrai temps de partage où nous pouvons rencontrer l’autre dans sa réalité, dans une vraie présence.

Maintenant en ce qui concerne ce séduisant livreur, soit il cherche et a besoin d’une victime sur laquelle pouvoir imposer ces conditions et puisque nous ne sommes manifestement pas la personne qui lui convient, il s’enfuira ! Soit, il se laisse glisser dans notre énergie, se rend compte combien c’est agréable de partager sans condition et d’être libre d’entrer dans une relation où il ne faut pas répondre à l’autre en lui donnant/montrant autre chose que ce que l’on est précisément. Une vraie relation qui ne soit pas basée sur des manques, des besoins, des envies à combler… Une relation où l’on puisse rencontrer l’autre réellement dans le moment présent, découvrir toutes ses propres richesses intérieures à travers celles de l’autre… et partager sans rien attendre, sans rien demander… Totalement libre !

Comment faire alors pour ne plus tomber dans ce cercle vicieux de besoins à combler, d’attentes, de peurs qui engendrent bien souvent ce que Daniel Odier appelle « un cannibalisme mutuel » et pour disposer enfin d’une « cuisine intérieure » personnelle la mieux équipée et la plus fabuleuse possible ?

Il y a, toujours dans le film Mariages, un élément de réponse qui me paraît essentiel : Lio dans le rôle de Micky constate que « Pour aimer vraiment, il faut être libre ! Et que pour être libre, il ne faut pas avoir peur ! Il faut pouvoir être seule avec soi-même, libre de l’autre, libre de tout ! »

En effet, prendre du temps pour soi en solitaire et ne pas hésiter à « apprivoiser la solitude » sont des éléments de base qui vont permettre la mise en place d’une « cuisine intérieure bien équipée ». Et je parlerais même du pouvoir et de la puissance que confère la solitude. Je sais que cela peut être difficile à lire pour certains d’entre nous et que cela peut même constituer une véritable phobie ! Il suffit de voir le nombre de personnes seules qui ont un agenda de « ministre » tant elles casent d’activités pour éviter la solitude avec elles-mêmes.

Apprivoiser la solitude, nous permet de découvrir qui nous sommes vraiment et ce qui nous met vraiment profondément en joie, ce qui marche bien pour nous, ce qui nous convient le mieux et ce qui ne nous convient pas du tout. Cela nous amène dans un centrage véritable qui ne dépend plus de quelqu’un d’autre que nous.

Cela nous permet aussi un face à face avec nos parts d’ombre (c’est d’ailleurs souvent ce qui fait peur). C’est un moment où l’on peut aussi, si le besoin s’en fait sentir, demander de l’aide de professionnels (coach, thérapeutes, psy, …) plutôt que de devoir à nouveau projeter nos parts d’ombre sur nos proches sans rien résoudre. Car ce temps de solitude nous permet souvent d’identifier vraiment ce qui nous manque justement et de nous l’offrir à nous-mêmes, de parvenir à ne plus l’attendre de l’extérieur, à nous rendre compte qu’il n’y a que nous qui puissions nous combler vraiment. Que ce n’est pas juste d’attendre que l’autre porte le poids de nos manques, besoins ou blessures à notre place, c’est même complètement irrespectueux.

Cela touche bien entendu à l’estime de soi et à notre confiance en nous. C’est lorsque nous avons réalisé ce travail que nous devenons pleinement autonome, maître de notre destinée que nous dépendons de moins en moins de l’autre pour être heureux. Nous disposons alors de plus en en plus d’une « cuisine intérieure très bien équipée » et que nous sommes prêts pour des rencontres véritables dans la liberté et le partage car justement nous n’avons plus BESOIN de l’autre ! Nous pouvons donc enfin le rencontrer pleinement, vraiment !

En réalité, nous n’avons pas à «créer » une cuisine intérieure bien équipée, car elle existe déjà en nous et parfaitement bien installée. Il y règne effectivement abondance et profusion ! Mais nous ne le voyons pas car notre cuisine est masquée par un voile, un rideau et surtout plein de caisses et de vieilleries de toutes sortes dans lesquelles nos peurs, nos croyances, nos manques sont jetés en vrac… Pour disposer de cette cuisine, il n’y a donc rien à « faire »… Il y a juste « être » conscient de notre nature profonde qui n’est qu’abondance et profusion !

Bien sûr, cela ne veut pas dire qu’il faille vivre dans la solitude la plus complète et la plus totale, je veux juste dire qu’il ne faut pas avoir peur de la solitude lorsqu’elle se présente dans notre vie, que ces moments sont précieux car ils construisent et ressourcent. Et que même lorsque l’on vit en couple, ces moments de solitude, de liberté totale sont plus qu’importants pour notre relation même.

Personnellement, quand je m’entends dire : « Oh j’ai besoin que » ou « J’aurais tellement envie de » ou « Mon Dieu, comme cela me manque » cela résonne en moi comme un signal d’alarme, je sais que je suis de nouveau en train de demander quelque chose à l’extérieur de moi qu’en réalité moi seule peux me donner à moi-même…

Il ne s’agit pas de se « blinder » contre le fait de ressentir ces besoins et ces manques, ce qui peut constituer une stratégie possible à court terme, laquelle ne tiendra pas la route bien longtemps : il n’y a rien de mieux que la frustration pour décupler les manques et les envies ! En réalité, je peux soit combler effectivement ou physiquement ces manques d’une manière ou d’une autre ou simplement « regarder passer cette envie ou ce manque et les laisser se dissoudre tout simplement »… Plus facile à dire qu’à faire nous dirons-nous ! Pourtant si nous prêtons attention au nombre de pensées qui traversent notre esprit en une journée… Nous verrons qu’elles ne font bien souvent que passer… Elles se dissolvent d’elles-mêmes… Sauf si nous décidons très concrètement de nous y accrocher.

Une stratégie additionnelle consiste à ne plus s’identifier à ses manques, à ses envies, à ses peurs. On brise le lien entre NOS comportements et NOTRE identité. Nous « débrayons » simplement pour empêcher des liens de se faire entre LA peur, LE manque et L’envie et NOTRE EGO. Ce ne sont pas NOTRE peur, NOTRE manque, NOTRE besoin mais JUSTE UNE sensation de peur, UNE sensation de manque, UNE sensation de besoin. Ne nous y attachons pas et cette sensation se dissoudra d’elle-même.

Il en est de même pour toutes les sensations qu’elles soient positives ou négatives, elles ne font jamais que passer plus ou moins vite ou plus ou moins lentement, mais elles n’existent souvent que dans l’instant !

Liberté absolue, présence à soi et à l’autre dans la relation, pouvoir de la solitude et non identification à nos états mentaux égotiques constituent vraiment des voies royales d’accès à l’Amour Véritable !

Alors n’ayons pas peur ! Osons la liberté pour que de « grandes Amours » puissent exister !

Claire

P.S. Pour plus d’informations concernant les peurs, les projections diverses et variées dans le couple, voici quelques liens sur ce site: « La tragédie de la femme : peur et dépendance », « la projection du féminin intérieur » et « la tragédie de l’homme : ne pas connaître le féminin ». Pour surtout ce billet qui est pour moi essentiel sur la réalité de l’amour romantique.