Par Jacques Ferber.

Dans de nombreuses traditions occidentales et orientales, chaque être humain est conçu comme un subtile mélange de masculin et de féminin, de yang et de yin pour reprendre la terminologie chinoise des énergies. L’homme possède ainsi en lui une part féminine qui cherche à s’incarner en lui. C. G. Jung a appelé « anima » cette part féminine de l’homme, souvent inconsciente, qui correspond à l’image intérieure que l’homme porte en lui de tout le Féminin.

Elle apparaît souvent dans les songes sous la forme « d’une femme inconnue que j’aime et qui m’aime et qui n’est jamais ni tout à fait la même ni tout à fait une autre », mais c’est aussi une énergie, un élan qui nous pousse, nous les hommes, vers l’autre, vers l’inconnu, qui ouvre notre cœur et nous donne notre créativité. Le féminin correspond à la part relationnelle de l’être, au cœur qui sait accueillir l’autre et accepte d’être transformé par la relation.

Cette part féminine est présente chez chaque homme, que celui-ci en soit conscient ou non. Lorsqu’il en est inconscient, cette part féminine se projette sur des femmes qui correspondent aux stéréotypes féminins de la putain, de la mère et de la vierge. Ces projections constituent en fait des images indifférenciées de l’inconscient collectif masculin. Dans ce cas les femmes sont « objétisées » car elles sont vues au travers du filtre d’un féminin intérieur peu évolué, comme celle qui est véhiculée dans les « magazines masculins » ou dans la pornographie.

Le féminin de l’homme c’est aussi la porte vers sa créativité et sa plus grande expression artistique et poétique : c’est la muse du poète, l’inspiratrice de ses talents artistiques.

On retrouve des images de ce féminin intérieur dans les contes et notamment les romans de chevalerie, sous la forme de la belle à sauver et du périple que fait le chevalier pour satisfaire les demandes de la princesse qu’il aime. On la trouve aussi dans les romans Arthuriens, sous la forme de la quête du Graal, qui représente, sous la forme d’une coupe ayant reçu le sang du Christ, le féminin divin, la coupe contenant du sang étant un symbole éminemment féminin.

Le féminin intérieur de l’homme est souvent projeté : l’attirance forte qui nous pousse l’un vers l’autre, le « coup de foudre » correspond généralement à une projection de ce féminin intérieur, de cette anima, sur l’être désiré. L’amour est d’autant plus passionnel et fou que le rapport de l’homme avec son anima est inconscient, car ce n’est pas de cette femme qu’il est amoureux, mais de sa propre partie féminine inconsciente projetée sur cette femme. Cela permet et facilite la rencontre, mais pour autant ce n’est pas une relation durable, car cette fascination va disparaître lorsque la femme réelle apparaîtra derrière l’image projetée. Éventuellement, cette image projetée deviendra « repoussante », et la femme sera vécue alors sous la forme d’une sorcière. Dans tous les cas, les grands archétypes féminins, tels qu’ils sont vécus par les hommes, correspondent à des projections désirables ou repoussantes : (ange ou démon, vierge ou putain, mère ou sorcière, etc…)

Lorsque l’homme ne s’aime pas totalement, lorsqu’il ne trouve pas au fond de lui sa puissance masculine nourrie du cœur féminin, il tend à vouloir trouver quelque chose chez la femme dont il a l’impression de manquer. Mais ce qui le pousse alors, ce n’est pas l’amour, mais le besoin. Il sait que cet amour ou cette passion dévorante n’est qu’une fascination, la projection même de sa part d’ombre sur cette femme qu’il désire, la femme mystérieuse et fatale qui suscite en lui une passion folle qu’il prend souvent pour de l’amour.

Cet amour qu’il ressent ne vient pas du cœur, il n’est là que pour combler un manque, un vide intérieur qu’aucune femme ne pourra jamais combler. Alors il peut se lancer dans une course éperdue pour trouver chez la femme cet amour-là, cette Source ininterrompue d’amour qu’il a bloqué pour lui-même. Il peut même vouloir aider les autres, mais il est encore comme en manque. Il peut alors devenir addicté par une femme-fatale, par le sexe ou par la pornographie, au risque de se perdre lui-même. Il tente de donner du corps à sa vie pour ne pas voir qu’il cherche, au travers de la femme à se trouver lui-même, à rencontrer la part divine en lui, à s’unir à son âme (n’oublions pas que ‘anima’ est le mot latin qui signifie ‘âme’). C’est comme si ses ombres le poussaient à reproduire des schémas sexuels et relationnels infantiles pour qu’il puisse les contempler, les voir, et en sortir une bonne fois pour toutes.

L’anima est investi initialement de l’image de la mère, la première femme rencontrée par l’homme. De ce fait, l’image de la mère est encore très présente dans les relations que l’homme entretient avec sa (ou ses) compagne(s). Il ne voit pas que la belle princesse ou la déesse dans sa compagne, mais aussi la sorcière ou la mégère, surtout les jours où leurs relations se détériorent… mais cette projection est aussi fausse que lors du coup de foudre initial, elle n’est qu’une image projetée sur l’autre.

Lorsque l’homme commence à accepter cette part féminine en lui, il devient plus créatif, plus poète, plus en relation avec les autres et avec sa propre intériorité. Il tend vers une harmonie intérieure, représentée en alchimie sous la forme de l’union du Roi et de la Reine et il peut entrer en Union Sacrée avec une femme, s’investir totalement dans la relation, en se dégageant de l’image de la mère. Il peut alors aimer profondément cette femme, être tour à tour le père, l’adulte, le protecteur, le poète, l’amant, l’adolescent, mais sans être figé dans une image particulière, en étant en relation avec sa compagne, passionnellement, mais sans être dans le besoin infantile de la sécurité maternelle. La voie du tantra, consiste justement à aller au-delà des projections, tout en reconnaissant leur puissance archétypale, pour aller à la rencontre de Soi, du divin en nous et autour de nous, au travers de l’Union Sacrée.