wpid-5da081085be5246c5c09f191451334b7-2013-06-21-16-25.jpegPar Jacques Ferber.

Nous sommes juste avant les vacances d’été. Généralement la période où l’on se préoccupe de son corps pour perdre les kilos en trop de l’hiver ainsi que pour se redonner un peu de muscle. C’est le moment rêvé pour revenir sur la manière dont le domaine psycho-spirituel appréhende cette relation au corps. Sommes nous notre corps ou non ? Devons nous développer notre corps et aller dans la sensualité, ou en contraire ne voir en lui que matière et pulsion ?

A un endroit nous sommes totalement notre corps. Que serions nous avec un autre corps ? Imaginez-vous avec quatre bras et quatre jambes ? Avec des ailes pour voler ou des branchies pour rester sous l’eau autant que l’on veut ? N’est-ce pas incroyable tout ce que nous avons : ces yeux, cette bouche, ces oreilles, ce buste, ces bras et ces jambes ? Quel travail d’horloger et d’orfèvre ! Nous ne nous rendons pas compte de notre bonheur d’être dans un corps lorsqu’on est en bonne santé. Il faut que l’on se torde la cheville pour réaliser l’importance de la marche et avoir les doigts bloqués pour bénir les jours où nous pouvions prendre les objets avec ces doigts là… Cela nous est donné, mais nous ne nous en rendons pas compte, cherchant toujours autre chose : être mieux, plus ceci ou cela. Personnellement, plus jeune, je ne me trouvais pas assez grand, sans comprendre toute la sagesse de la blague de Coluche lorsqu’il disait « la bonne taille, c’est quand les pieds touchent par terre« . J’ai depuis quelques années eu l’impression d’avoir grandi. Je n’ai pas pris un centimètre, mais maintenant ma taille est la bonne, et mon corps est totalement merveilleux dans ce qu’il est capable de faire, même si sa souplesse et sa force laisse à désirer. Il a quelque chose de fantastique, que nous partageons tous, et que je trouve de plus en plus fabuleux : il nous permet de faire l’expérience de la matière, de l’incarnation charnelle, de humer, contempler, de caresser et d’être caressé. Quel bonheur lorsque nous nous procurons mutuellement ce plaisir tellement simple et évident du contact charnel, avec un toucher aimant et respectueux, pour le simple désir de partager la Joie d’être en étant ‘avec’. Donc merci et gratitude à ce corps qui nous supporte (au sens propre comme au figuré) de notre naissance à notre mort. Sachons le respecter, l’aimer et lui apporter tout ce dont il a besoin : exercice physique, caresses, sensualité, beauté de l’environnement visuel, sonore et olfactif, nourriture saine et goûteuse, sexualité respectueuse et intense, etc. Et alors,  il nous le rend au centuple, car chaque fois qu’on s’en occupe, il nous procure un état de joie sans mélange, sous la forme de sérotonine, d’endorphine et de dopamine. Nous sommes notre corps et tout ce que nous vivons se traduit en impressions, en émotions, en humeurs. Sans se rendre compte de ce bonheur que les anges nous envient. Ils voudraient tellement être incarnés comme vous et moi, ressentir le vent et l’eau sur leur corps, la courbe d’une hanche dans leurs mains ou la caresse délicate et puissante d’un amant attentif.

Et pourtant, nous ne sommes pas notre corps. Il n’est qu’un véhicule. Certes indispensable pour faire l’expérience de la Vie, mais il n’est pas notre essence. La jeune fille qui se maquille devant la glace ou celui qui fait de la musculation pour gonfler ses muscles ne l’entendent certainement pas ainsi. Ils s’identifient à leur corps croyant que cette beauté plastique est celle de leur âme. Et pourtant, nous savons bien qu’il n’en est rien. Bien sûr un corps tonique, beau et en bonne santé est plus attrayant qu’un corps déformé et laid, mais toutes les identifications liées au corps sont la source de notre malheur à plus ou moins brève échéance. En effet, notre corps vieillira, tombera malade, et nous subirons à un moment ou à un autre les vicissitudes du temps. C’est tout à fait normal. Nous pouvons ralentir le vieillissement par des exercices, des cosmétiques et de la chirurgie, mais viendra un jour où nous serons rattrapés par ce temps et notre corps en subira les effets. De ce fait, si nous nous identifions à notre corps, nous perdrons automatiquement de notre splendeur. Les femmes qui misent tout sur leur beauté vivront l’enfer lorsque l’âge viendra, car elles verront toutes les femmes jeunes et sexy comme des rivales insupportables. Leur caractère s’aigrira et leur rayonnement en pâtira. Au contraire, une belle femme qui comprend que le corps n’est pas tout, continuera son développement psychique et spirituel, et cela se verra dans ce qui émane d’elle. Son attirance sera encore plus forte car il se dégagera quelque chose de magnétique. Je connais ainsi plusieurs femmes animatrices de groupes de développement personnel, ayant une bonne cinquantaine, qui attirent tous les regards d’hommes séduisants et beaucoup plus jeunes, tout simplement par leur magnétisme « naturel ». Au grand dam de « petites jeunes » qui viennent alors leur demander leurs secrets. Le travail que ces femmes ont fait sur elle s’exprime dans l’éclat qu’elles arborent, dans ce rayonnement difficile à décrire mais que l’on ressent, et qui devient automatiquement attrayant pour ceux et celles qui les entourent. Chez les hommes ce travail s’exprime souvent sous la forme de la taille. Je connais des hommes de grandes tailles que l’on ne voit pourtant pas, et qui deviennent très grands après travaillé sur eux. Là encore, c’est le rayonnement intérieur qui s’exprime à l’extérieur.

Et il y a donc un paradoxe : nous ne sommes pas notre corps, mais sans ce corps nous ne sommes pas, et tout ce que nous faisons à l’intérieur de nous mêmes s’exprime à un moment ou à un autre dans notre corps, ou tout du moins, comme nous l’avons vu, dans le rayonnement qui émane de lui.

C’est parfois très difficile à faire comprendre cette apparente contradiction d’être à la fois une chose et son contraire, de pouvoir incarner totalement un aspect de la vie et en même temps d’en être totalement détaché. Pour moi c’est justement  dans ce paradoxe apparent que se trouve cette Vérité inexprimable qui est au-delà de tous les mots et qui constitue l’essence de notre être, l’essence de la réalité. Aucune raison ne peut aller directement à cette réalité, si ce n’est en prenant des détours incroyables. C’est notamment le questionnement du « qui suis-je? » pour nous défaire de toutes nos croyances sur nous mêmes et nous amener à « ça » cette essence indicible, vacuité-plénitude, sentiment profond de simplement être… Et justement, le Tantra est peut être la voie royale pour trouver cette conjunctio oppositorum (conjonction des opposés) dont parlait Jung, cette intégration paradoxale des contraires. Dans cette voie, cette union des opposés entre la conscience pure d’être et l’incarnation charnelle s’exprime tout simplement comme l’union sacrée de Shiva et Shakti, l’union de la Conscience et de l’Eros. Il n’y a pas de « recette » pour réaliser cette union. Elle est magique comme l’acte sexuel sacré, elle est extatique au delà des mots et même des orgasmes physiques, elle est présence et mystère à la fois. Elle est surtout une clé majeure de l’éveil.