ATTENTION SPOILER : certains éléments de la saison 1 de la série Messiah sont dévoilés dans cet article…

Par Jacques Ferber.

Que se passerait-il si quelqu’un apparaissait avec tous les atours d’un prophète ou d’un envoyé de Dieu? Comment réagirions-nous? Que feraient les gouvernements pour traiter ce problème qui risque de menacer leur sécurité? Comment les religions en place essayeraient elles de récupérer le mouvement populaire qui ne manquerait pas d’avoir lieu?

Toutes ces questions constituent le point de départ de la série Messiah qui est diffusée sur Netflix depuis le 1er janvier 2020. Merveilleusement écrite comme un thriller par Michael Petroni, jouée à la perfection par des acteurs multilingues (tous les dialogues sont en anglais, hébreu et arabe), tournée dans des lieux fantastiques comme le désert Jordanien, cette série, nous emmène tranquillement à nous poser des questions essentielles sur notre rapport à la Vie, et surtout sur notre manière de donner du sens à ce qui constitue la trame de notre vie. De la théologie et de la métaphysique sans théorie, sans prise de tête. Tout est simple, tout est dit, en restant en permanence sur la crête qui sépare le surnaturel de l’illusion du prestidigitateur. Je suis resté haletant pendant tous les épisodes de la premières saison et, bien sûr, j’aimerais bien qu’il y ait une suite même si je pense que les questions essentielles ont déjà été posées.

Le personnage principal (Al-Masih, le Messie en Arabe) ressemble beaucoup à Jésus telle que l’iconographie officielle (débutée plusieurs siècles après sa mort) nous le transmet: légèrement barbu, fin, les cheveux longs, un regard perçant. Splendidement incarné à l’écran par Mehdi Dehbi, un acteur belge francophone qui parle six langues dont l’arabe et l’hébreu, il nous amène à nous interroger sur l’authenticité du personnage : est-il réellement le Messie, ou bien un usurpateur qui fait usage de trucs d’illusionnistes? Un messager de Dieu ou un illuminé au service d’une puissance qui cherche à déstabiliser le monde?

Ce que la série propose, et que je trouve de fantastique, c’est qu’au travers d’un thriller rythmé par un suspens incroyable (si vous commencez ça va être très difficile de vous arrêter en chemin), elle propose avant tout une merveilleuse analyse de la psyché humaine, avec toutes ses variantes, pour donner du sens à sa vie.

Dès le départ, on se trouve pris au cœur de la question: savez-vous différencier le bien du mal de manière claire sans vous poser de question ? Si oui, vous pouvez être engagé à la CIA (par Eva jouée par la magnifique Michelle Monaghan), sinon, comme on le verra au fur et à mesure dans la saison, vous serez amené à aller au centre de vous-mêmes. Car bien entendu, ce n’est pas si simple…

Quand nous sommes malade, accidenté, quand nous perdons un être proche, quand une épreuve nous tombe dessus, quand on est déprimé et en règle générale quand on se sent au bout du rouleau, des questions essentielles surgissent dans notre esprit: pourquoi suis-je là? Pourquoi je vis? Pourquoi y-a-t-il cette vie dont je fais partie? Pourquoi suis-je né et pourquoi vais-je mourir? Est ce que tout cela a un sens? Qu’y a-t-il après la mort? Quelle est ma raison d’être et la raison d’être du monde?

Ces questions, l’être humain se l’est posée dès qu’il a eu conscience de la mort. Et c’est ainsi qu’il a commencé, il y a environ 100 000 ans avant notre ère, à ritualiser la mort, à essayer de donner un sens à sa vie, à vivre avec ses congénères en disant ce qu’est le Bien et le Mal. Et depuis nous ne cessons de donner des réponses pour combler le vide sidéral laissé par ces interrogations en suspens.

Dans la série, les personnages sont attachants et complexes, chacun a un poids à porter : Aviram, l’agent musclé du Shin Bet, le service israélien de sécurité intérieure, n’ose pas aller voir en lui sa détresse et sa culpabilité, et cela se traduit par de la colère et de l’action. Eva, l’agente du CIA, se réfugie dans le travail et dans sa loyauté à son compagnon disparu. Le pasteur, qui commençait à perdre la foi, se sent transformé par la présence d’Al-Masih, et répond en créant une nouvelle Église, en croyant servir Dieu, alors qu’il ne cherche qu’à briller lui-même.

Il n’y a pas de bons, pas de méchants (mis à part le conseiller du président américain et un fondamentaliste musulman). Chacun cherche à survivre, avec ses peurs, ses addictions, ses hontes et culpabilités, ses convictions. Et tous ces murs de protection s’ébranlent au fur et à mesure, car Al-Masih pose les bonnes questions, celles qui vont au plus profond de l’être et qui lui font contacter sa lumière, son âme. Il n’y a aucune certitude dans le discours d’Al-Masih. Si une femme vient et demande une guérison, il lui demande « comment veux-tu guérir? » Il ne pose pas ses mains à la manière de Jésus, il ne prêche pas, ne commente pas. A l’homme qui veut le suivre, il dit « où veux tu aller? » et il le suit. Il pose juste des questions qui viennent troubler la structure identitaire de chacun, qui viennent mettre le doute. Et ce doute est-il salvateur où le début d’une manipulation pour recruter du monde et créer le chaos?

Vous l’avez peut être remarqué mais la plupart des actes que nous faisons peuvent être interprétés dans un sens ou dans un autre. Si quelqu’un fait un cadeau, s’agit-il d’un acte généreux ou d’un calcul stratégique? Si je fais des choses au dernier moment, est ce que je suis dans la fluidité ou dans l’inconséquence?

Cela m’a particulièrement frappé lors d’une scène, ou un étudiant en sciences politiques, brûle ses livres en une sorte d’autodafé : est-ce une libération par rapport à l’enfermement que constituent les livres ou un retour au règne de l’obscurantisme et de la manipulation comme dans l’histoire Farenheit 451 de Ray Bradbury où un pouvoir dictatorial brûle les livres (et tout ce qui touche à la culture), symboles de la connaissance, remparts contre la barbarie). Pour avoir moi aussi brulé mes livres dans un moment de révélation (et poussé par mon maître de l’époque), je me pose parfois la question de savoir si c’était positif ou non (bon, cela a tout de même fait un peu de ménage dans ma bibliothèque).

Cette scène correspond bien au ton du film: est ce qu’en considérant que Al-Masih est bien le messie on élève son âme vers Dieu ou bien on se fait avoir? Et tout le film baigne dans cet état intermédiaire sans jamais pencher d’un côté ou de l’autre. Pour certains cette croyance est une transformation fantastique (comme pour Jibril, le jeune arabe qui croit à cette apparition divine et qui, grâce à cela, accomplit un acte héroïque), pour d’autres c’est l’inverse, avec cette femme dont la fille cancéreuse ne sera pas sauvée. Et tout au long de la série, le thème persistant est « c’est à nous et à nous seuls de donner du sens à nos vies ».

C’est notre choix de croire ou non. Et nos vies en seront transformées à jamais dans un sens ou dans l’autre.

On sent que chacun doute, mais a envie d’y croire, ou au contraire refuse d’y croire et cherche à voir si Al-Masih n’est finalement pas un illusionniste de haut vol, un homme qui sait mettre en scène ses « miracles ». Qui est dans le Vrai?

Beaucoup pensent savoir, beaucoup pensent avoir la réponse: mis à part les personnages principaux dont nous suivons les interrogations intérieures, quelques groupes pensent avoir la réponse.

Il y a les fondamentalistes musulmans, qui considèrent que Al-Masih est l’antéchrist et qui cherchent à endoctriner les fidèles, il y a les incroyants qui pensent qu’il s’agit d’un mystificateur, et surtout il y a la foule des croyants de toutes obédiences, de toutes sortes qui utilisent l’apparition de ce prophète comme « preuve » de la validité de leur propre foi, de leurs propres certitudes.

Or, Al-Masih, ne prêche pas. Mis à part le fait qu’il dit qu’il est envoyé par Dieu, il ne prêche aucune croyance. Comme il le dit avant d’accomplir ce qui peut s’apparenter à un miracle :

« Je suis à la porte, et je vous regarde. Et vous me voyez en retour. Tout ce que je peux faire c’est de refléter (d’être le reflet de) ce que je vois (All I can do is reflect what I see).

(…) Vous êtes les juges, vous êtes les élus (the chosen). Je suis ici pour casser le miroir afin que vous voyez de quel côté vous êtes. Ce que vous verrez sera votre choix (what you see will be your choosing). » Est-ce un miracle ou un Illusion? C’est à vous de le dire. Et cela vous fera pencher d’un côté ou de l’autre… Ce que vous verrez alors dépend de ce choix. »

Dans notre vie, les « coïncidences étranges » sont-elles dues au hasard ou à la Providence? Sont elles l’effet de notre désir de croire en ces synchronicités ou le résultat de l’action de quelque chose, d’une puissance, plus grande que nous? Toutes ces interrogations nous ramènent toujours à la grande question métaphysique de l’existence. Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien? Et la tentation est grande de répondre « parce que Dieu (ou un principe quelconque) l’a voulu ». En est-on sûr? Comment nous sentons-nous lorsque nous nous vivons comme les enfants de Dieu, comme l’incarnation de la lumière divine? Et à l’inverse quand nous pensons n’être que des organismes biologiques, des amas cellulaires complexes évolués? Pourquoi la première réponse nous remplit-elle de béatitude alors que la seconde nous laisse froid et désemparé, isolé au sein de ce monde désenchanté?

Nous avons besoin de donner un sens à notre vie car si tout cela n’avait aucun sens, si tout cela était absurde, comme le pense l’individu en pleine déprime, alors c’est toute notre psyché qui s’effondre, c’est le monde qui tombe dans le chaos.

En Égypte antique, quand les humains avaient un contact plus direct avec les puissances de l’inconscient, il est dit que Amon-Ré (le Dieu soleil, celui qui apporte la lumière et la conscience sur chaque être) combat Apophis, le chaos chaque nuit. Et s’il en sort vainqueur chaque matin, quand le soleil se lève, ce n’est qu’après une lutte âpre et sauvage. Ce n’est jamais gagné d’avance. La lumière de la conscience, lutte ainsi avec les pulsions primordiales, le « ça » freudien, l’ombre collective Jungienne. Chaque matin, notre conscience renaît aux prises avec les peurs de la maladie, de la folie et de la mort. Bien sûr, ces peurs ne sont pas présentes chaque jour, et tant mieux, mais elles sont toujours là, larvées, et il suffit d’une circonstance, d’une maladie, d’un accident, d’une situation nouvelle, d’une prise de substance enthéogène (psychédélique), pour que nous sortions de nos problèmes quotidiens et que nous ouvrions notre esprit à ce qui est plus grand que nous.

Et si il y avait finalement quelque chose … au-delà du rien

Mais si c’est à nous de donner du sens à notre vie, cela signifie-t-il qu’il n’y a rien qu’un monde désert rempli de nos croyances? N’y a-t-il aucune Vérité absolue autre que celle que nous voulons bien nous donner à nous-même? Pour moi, qui ait toujours été en quête de la Vérité, au travers des sciences et de la spiritualité, cette question est à la fois puissante, et en même temps terrible.

La série ne propose pas de réponse: elle pose juste des questions. Mais les questions essentielles que l’on soit au début du chemin vers soi (le moment des premiers signes qu’il y a autre chose) ou au contraire que l’on soit gavé de certitudes spirituelles sur l’âme et la présence de Dieu dans le monde (« je sais déjà » dit celui qui confond croyances et vérité). C’est cela qui est intéressant dans cette série, c’est que vous verrez d’autres choses que moi, que vous en aurez certainement une autre lecture. Et je vous invite à la faire. Je n’ai pas la prétention d’avoir la Vérité. Et je sais que vous ne l’avez pas non plus.

Les spiritualités profondes disent qu’il y a toujours un moment de doute, un moment où l’on doit tout remettre en cause de ce que l’on croit. Même, et surtout, quand on est avancé. C’est le moment du vide, vécu parfois comme une nuit noire de l’âme, quand on se rend compte que finalement tout ce qu’on nous a dit était faux: pour le scientifique et le rationnel, c’est la science, mais pour l’individu spirituel c’est le monde de l’âme, ce sont ses croyances spirituelles.

Tout ce qu’on vit est fondé sur une illusion fondamentale, la Maya hindouiste. Et au milieu de cette nuit peut apparaitre la lumière : c’est la question même qui est le problème ! C’est le problème du ‘moi’ de ne pas supporter le vide, la non réponse. Car la peur essentielle, viscérale de tout être ce n’est pas la mort, mais la disparition, la dissolution dans le Rien. Je n’ai pas peur dans la mort tant que je crois au Paradis, au Valhalla ou à la réincarnation. Mais que l’on me dise qu’il n’y a rien et je sens la terreur s’instiller au fond de mon être. Les réponses religieuses sont des pansements de l’âme.

Pour trouver la réponse, il me semble qu’il est nécessaire d’aller encore plus loin, de ne pas s’arrêter aux questions légitimes du moi qui voit son salut dans une persistance de son âme, et d’oser traverser le vide du « non-moi » où le moi n’existe plus, ou même l’âme se dissout. Dans ce silence total intérieur, une autre réponse apparait. Mais elle est indicible: il n’y a pas de mot pour l’exprimer. Elle est une parole perdue, oubliée, imprononçable et en même temps une évidence. Et pour ceux qui sont en quête, c’est le sentiment qu’enfin quelque chose de Vrai est là. Au delà de l’ignorance mondaine ou de la certitude des dogmes, au delà du doute légitime et nécessaire, au delà du vide terrifiant qu’il s’agit de contempler dans son infinité abyssale, au-delà des prophètes et des fils de Dieu, au delà de toutes les représentations et discours sur Dieu, et au delà même de l’âme, une Vérité apparaît : Je Suis (et ce sont encore des mots, mais la réponse intérieure est sans mots).

Mais je ne suis pas sûr qu’on trouve ce type de réponse en image sur Netflix…