Agapé : l’Amour Divin qui relie tous les êtres

A côté d’Eros, la passion amoureuse qui tend à la fusion, et Philia, l’amour de l’autre en tant qu’ami, enfant ou partenaire, il existe une troisième forme d’amour que l’on appelle Agapé en grec, et qui correspond à l’amour divin, l’amour inconditionnel.
Le mot Agapé n’était pas utilisé dans la grèce ancienne. Il fut forgé par le christianisme naissant pour décrire une forme d’amour que l’on trouve dans les évangiles et que l’on a traduit par ‘caritas’ en Latin qui a donné ‘charité’ en français. Malheureusement, ce dernier a perdu toute la puissance du divin et on l’utilise maintenant pour décrire un comportement de sympathie mêlée de pitié, voire de condescendance. Faire oeuvre de charité signifie souvent « faire l’aumône », en donnant une pièce au SDF du coin, avec ce sentiment de supériorité de celui qui donne au nécessiteux. Mais ce n’est pas du tout cela que décrit Agapé qui consiste à aimer chacun de manière inconditionnelle en voyant la lumière divine dans l’autre.

La bonne nouvelle d’Agapé

Le message du Christ était simple et clair: « aimez votre prochain comme vous-mêmes ». Il ne s’agit pas d’Eros ici, ni même de philia, mais d’aimer l’autre parce qu’on reconnait chez lui ce qui nous constitue nous-mêmes: le fait d’être pleinement humain, avec ses lumières et ses ombres. C’est cet amour que recherche St François D’assise dans sa prière :

Je veux regarder aujourd’hui le monde
Avec des yeux tout remplis d’amour,
Etre patient, compréhensif, doux et sage,
Voir au-delà des apparences, tes enfants comme tu les vois Toi-même,
Et ainsi ne voir que le bien en chacun.

Agapé, c’est ainsi la capacité d’aimer quelqu’un indépendamment d’une attraction que l’on pourrait avoir, indépendamment de ce que l’autre nous a fait, même si on ne le connait pas, simplement parce qu’il ou elle existe.

Si Agapé trouve ses racines dans la tradition chrétienne, sa portée universelle résonne bien au-delà des frontières religieuses.

Agapé n’est pas un sentiment, ni une émotion passagère. C’est une force, une énergie créatrice qui émane du divin et se manifeste dans le monde des hommes. Contrairement à l’amour romantique (éros) ou à l’amitié fraternelle (philia), Agapé ne dépend pas des qualités de l’être aimé ou des circonstances extérieures.

Il est lié à la conscience, et pas au sentiment, ou plus exactement il est ce que l’on ressent quand on voit le monde avec les yeux du divin, quand on réalise que l’autre est comme moi, qu’il est mon jumeau, mon double, quel que soit son sexe, son âge et ce qu’il a vécu. C’est la reconnaissance que nous faisons partie de la même histoire de vie, que nous incarnons la Présence (le Divin). Et lorsque cette conscience apparait, Agapé vient dans notre cœur, nous offrant l’une des plus grandes extase possible. C’est une grâce que nous recevons par le fait même de voir le divin en l’autre.

Le Salut « Namasté » et la Reconnaissance du Divin

Il existe un très beau salut en Inde, le « Namasté ». On joint les mains au niveau du cœur, souvent en les descendant depuis le troisième œil, symbolisant une connexion spirituelle profonde. Ce geste, empreint de respect et de révérence, exprime la reconnaissance du divin en l’autre. « Namaste » signifie littéralement « Je m’incline devant toi », mais il porte un sens beaucoup plus profond : « Le divin en moi s’incline devant le divin en toi. » C’est une salutation qui transcende les simples mots, englobant une vision du monde où chaque individu est vu comme une manifestation du divin.

On retrouve un concept similaire dans le film « Avatar », où les Na’vi disent « Je te vois ». Cette expression va au-delà de la simple perception visuelle ; elle signifie « Je vois ton être profond, ton âme. » C’est une reconnaissance de l’essence intérieure de l’autre, une affirmation de son existence et de sa valeur intrinsèque. Le lien entre « Namaste » et « Je te vois » réside dans cette capacité à voir au-delà des apparences, à reconnaître la lumière divine ou humaine qui réside en chacun de nous. C’est une invitation à une connexion authentique, à une relation basée sur le respect mutuel et la reconnaissance de notre humanité partagée.

Agapé peut être ressenti, mais il peut également être vécu. Malheureusement, c’est là qu’on se perd, car cet amour est confondu avec la charité (Caritas est le mot latin qui a été utilisé pour traduire le grec Agapé, l’amour de Dieu, de la bible), c’est-à-dire avec des actes altruistes, de bienveillance et de compassion, voire de sacrifice.

Mais pour moi, cela ne va pas dans le sens profond d’Agapé, qui n’est pas simplement humain. Vous n’êtes pas bienveillant vis-à-vis de l’autre parce que vous ressentez de l’amour envers l’autre, parce que vous avez un sentiment amoureux ou d’amitié, mais tout simplement parce qu’il ou elle est vous-même ! Parce que vous sentez son humanité, que vous percevez le frémissement de son âme.

Les manifestations d’Agapé

Le sacrifice du Christ, n’est pas celui de la personne, mais celui de l’ego qui se dissout au contact de cet amour-reconnaissance divine. Les mots ne sont pas faciles pour bien décrire cette différence qui n’a souvent pas bien été comprise et qui a été souvent transformée en “charité chrétienne” (donner aux pauvres ou aux miséreux pour son salut), entrainant beaucoup de culpabilité pour ceux qui ne sont pas dans le don, comme si l’on devait passer sa vie dans le sacrifice.

Soeur Emmanuelle, qui est une très bonne représentant de cet Agapé incarné, disait ainsi avec son langage direct

Quand on aime, il n’y a pas de sacrifice, mais une dilatation. Le sacrifice, c’est encore de l’égoïsme pur. Celui ou celle qui prétend se sacrifier ne fait que construire l’idole de soi-même, sa statue héroïque de sainte-Nitouche que les autres doivent élever sur l’autel dressé à sa propre gloire.

Les actes de bienveillance et de compassion ne viennent pas d’un altruisme « mou », d’une quête d’être aimé en retour, comme c’est souvent le cas de celles et ceux qui se tuent au travail ou pour leur famille, mais d’une prise de conscience que l’autre est soi-même, et qu’en agissant ainsi, on participe à l’œuvre de Dieu, que notre cœur devient un accès au sens du monde. Avec Agapé, on sait immédiatement pourquoi on vit, sans avoir besoin de réponse à ses propres questions existentielles. Dans l’amour, la vérité jaillit.

A ce moment là, j’ai tendance à être émerveillé par le fait que la Conscience amène à l’Amour, et qu’en retour, l’Amour amène à la Vérité, comme si Amour, Conscience et Vérité étaient naturellement unies et amenaient à une Joie profonde et véritable. Je mets des majuscules pour bien faire comprendre qu’il s’agit de l’Amour divin, de la Conscience pure – où l’humain touche au divin – et qu’il s’agit ici de la Vérité de l’être, au delà des vérités logiques. De cette union de l’Amour, de la Conscience et de la Vérité, émerge alors une grande Joie, sans objet, sans condition, qui ouvre le cœur et nous fait accéder à des états de conscience qui nous rapprochent de la Source, du Divin.

Lorsque je suis dans cet état, je me sens « au-dessus des nuages ». Dans l’état ordinaire, je me bats avec ce que j’ai avec le quotidien, avec tout ce qu’il y a à gérer dans une vie. Dans mes rencontres, il y a des personnes que j’aime, des personnes qui m’énervent (et parfois ce sont les mêmes ) et des personnes dont je suis plus indifférentes. J’ai des jugements sur les autres, la politique, la vie, etc. Je suis alors dans un état à la fois un peu anxieux, voire tendu, comme si quelque chose de terrible pouvait m’arriver à chaque instant. Je peux alors ressentir de la tristesse et de la colère. Surtout je vois que mes pensées tournent en rond et que je ne trouve pas de solution aux problèmes qui apparaissent dans ma vie. Tout m’apparaît en bien ou en mal, de manière dualiste. Je ressens parfois alors de la dépression, considérant que ma vie est nulle, qu’elle ne vaut pas la peine d’être vécue et qu’elle n’a pas de sens.

Platon parlait de cet état d’être ordinaire, comme l’état de celui qui vit dans une caverne, et qui prend les ombres que produit le feu de la grotte pour la réalité, vivant ainsi dans la misère intérieure et l’agitation de son âme. À l’inverse, contacter l’amour Agapé, c’est s’élever au-dessus de la mer de nuages pour voir le soleil qui luit tout le temps, comme lorsqu’on est en montagne et que l’on contemple la vallée dans la brume, alors qu’on bénéficie des rayons du soleil et d’un ciel bleu. C’est un état de clarté et de paix intérieure, où la vérité de notre être se révèle, nous libérant des illusions et des limitations de l’ego. En touchant à Agapé, nous découvrons la joie de notre véritable nature et la profondeur de notre connexion avec le divin.

Agapé comme idéal spirituel

Agapé nous amène nécessairement au spirituel, à la prise de conscience que nous ne sommes pas séparés. Comme la chanson ‘One’ de U2 (une chanson que j’adore) qui dit “We’re one but we’re not the same” (nous sommes Un mais nous ne sommes pas pareil), qui procède d’un paradoxe, le paradoxe fondamental de la spiritualité et du divin.

Ce paradoxe est lié au fait que le divin est Un, et que tout ce que nous voyons, sentons, que tout fait partie du Tout, de la Source, du Divin. Et en même temps, chacun est différent. Je suis Jacques, et toi qui me lit en ce moment tu es (mettre ton nom à la place)[Note: à ce sujet lire l’article Méditation expérientielle: rencontrer sa nature le Soi] Nous n’avons pas la même histoire, la même personnalité, les mêmes valeurs et les mêmes croyances. Et pourtant toi et moi, nous sommes ici

Les grandes spiritualités, et notamment les spiritualités non duelles, telles que l’Advaita Vedanta, le Taoïsme, le bouddhisme (Zen et surtout Dzogchen), certains courants chrétiens gnostiques, et bien sûr le Tantra non-duel du Kashmire, nous amènent à voir le monde comme étant UN. Cela a comme conséquence que l’autre n’est pas seulement un autre, mais il est à la fois nous-mêmes tout en étant différent. Pas facile à comprendre.

Ces traditions nous enseignent que, malgré nos différences apparentes, nous partageons une essence commune. Elles nous invitent à voir au-delà des formes pour reconnaître notre interconnexion fondamentale, sans pour autant effacer notre individualité, en nous mettant au cœur de cette unité cosmique.

L’Advaita Vedanta, par exemple, parle de « Brahman », la réalité ultime dont tout émane et dans laquelle tout existe. Le Taoïsme évoque le « Tao », le principe fondamental qui sous-tend toute existence. Le bouddhisme Zen nous invite à réaliser notre « nature de Bouddha » présente en chaque être, et le Tantra non-duel originel nous invite à l’union intérieure comme extérieure, et à vivre la beauté de l’union de Shiva (la pure conscience) et Shakti (la matière énergie) dans tous les éléments de la vie.

Toutes ces traditions, malgré leurs différences de langage et de pratique, pointent vers une même vérité : notre unité essentielle. Cette dernière n’est pas une abstraction philosophique, mais constitue une réalité vivante que nous pouvons expérimenter directement. Les moments de profonde connexion avec la nature, les expériences mystiques, ou même les instants de compassion spontanée sont autant de fenêtres sur cette réalité plus vaste. Agapé, dans ce contexte, peut être compris comme la reconnaissance et l’expression de cette unité dans nos relations quotidiennes.

La Métaphore de l’Arbre et la Connexion Universelle

En fait, tout se passe comme si nous étions des bourgeons aux branches d’un même arbre.

Chaque individu est un bourgeon unique, nourri par les mêmes racines profondes et baigné par la même lumière divine. Nous n’avons pas toujours conscience de faire partie de ce même arbre, bien qu’il nous fasse vivre, bien qu’il nous relient tous. Pour moi, c’est ça Agapé : la reconnaissance que l’autre est simplement un autre bourgeon du même arbre, une manifestation différente mais non séparée de nous-mêmes et du tout. Nous faisons ainsi partie de la même histoire, de la même substance, et notre plus grande ignorance c’est justement de ne pas le voir.

Les racines de cet arbre représentent notre origine commune, la source de toute vie. Le tronc symbolise notre histoire partagée, les expériences collectives qui ont façonné l’humanité. Les branches principales pourraient représenter les différentes cultures et traditions, chacune offrant une perspective unique sur la vie. Et enfin, chaque feuille, chaque fleur, chaque fruit est un individu unique, exprimant à sa manière la vie de l’arbre entier. Nous partageons la même essence, la même énergie vitale, et notre existence est intrinsèquement liée à celle des autres.

Agapé, dans ce contexte, est la reconnaissance de cette unité fondamentale. C’est la capacité de voir au-delà des différences superficielles pour percevoir la même lumière, la même humanité en chacun de nous. C’est une invitation à élargir notre vision, à dépasser les barrières de l’ego et des préjugés pour embrasser une perspective plus vaste et considérer que, tout comme un écosystème prospère grâce à sa biodiversité, l’humanité s’enrichit de sa diversité culturelle, intellectuelle et spirituelle.

Notre plus grande tragédie, est de ne pas voir cette interconnexion. Nous vivons souvent comme si nous étions des entités séparées, isolées, en compétition les unes avec les autres, alors que nous sommes en réalité des parties d’un même tout, des expressions d’une même réalité, ignorant notre appartenance à un tout plus vaste. Cette illusion de séparation est à la base de nombreux maux de notre époque, qu’il s’agisse de conflits, de l’exploitation de la nature, et de la souffrance psychologique que beaucoup expérimentent dans nos sociétés modernes.

Cultiver Agapé, c’est s’efforcer de surmonter cette ignorance, de reconnaître notre interdépendance et de vivre en harmonie avec cette vérité profonde. C’est un chemin vers la paix intérieure et la paix dans le monde, un chemin de transformation personnelle et collective. C’est reconnaître que le bien-être de l’autre est intrinsèquement lié à notre propre bien-être, tout comme la santé d’une feuille peut affecter l’arbre entier.

En adoptant cette vision, nous pouvons commencer à voir nos relations sous un nouveau jour. Chaque interaction devient une opportunité de reconnaître et d’honorer l’autre ou plus exactement la manifestation du Divin au travers de l’autre. Cela peut bien entendu renforcer les liens qui nous unissent, et surtout voir au delà des formes, au delà des conflits et des jugements que nous pouvons avoir les uns pour les autres.

Appliquer Agapé au quotidien

Nous avons vu que Agapé, au niveau le plus profond, est le moment où l’Amour (inconditionnel) surgit de la conscience d’être UN avec l’autre, ou d’une manière plus simple, lorsqu’on aperçoit lumière divine chez l’autre. Dans la tradition chrétienne, il est associé à l’amour du Christ pour chaque être humain, et, sur le plan humain, à la compassion profonde que nous pouvons avoir envers chacun.

Mais en écrivant ces lignes sur Agapé, je crains d’être pris pour ce que je ne suis pas. Parler d’amour inconditionnel est une chose, le vivre au quotidien en est une autre. Je vois que chaque jour, je suis confronté à mes propres limites, à mes jugements, à mes peurs, car bien qu’ayant vécu des expériences mystiques extraordinaire, je ne me prétends pas éveillé. Et donc, quotidiennement, je suis confronté à mes limitations bien humaines, c’est-à-dire aux frustrations, aux énervements, à la déception, etc.

Lorsque nous sommes blessés par les paroles d’un proche, pouvons nous reconnaitre la tige de l’arbre qui nous relie ? Lorsque quelqu’un nous fait une queue de poisson en voiture, pouvons le considérer comme notre frère ou soeur d’âme ? Dans le couple, alors que nous subissons des reproches ou les colères de notre partenaire, pouvons nous les accueillir en nous connectant à sa lumière divine ? Lorsque notre patron nous blâme pour une faute que nous n’avons pas commise (ou que nous pensons ne pas avoir commise), pouvons-nous le voir comme un enfant de Dieu ?

C’est en effet très pratiquement, dans la vie quotidienne, en faisant ses courses, avec sa famille, ses voisins, au travail, avec les personnes que l’on rencontre à tout instant, que l’on peut voir si Agapé fait partie de notre vie, ou si nous rejetons ou créons de la distance vis à vis des personnes que nous rencontrons.

À ce moment là, la « charité », la traduction du terme Agapé en Latin, qui est vue comme une aide donnée aux plus démunis, peut s’effectuer naturellement sans qu’il y ait une « obligation », une morale associée. Je ne m’occupe pas de l’autre parce que « je dois » le faire, mais parce que je le ressens comme un autre moi-même, parce qu’il a besoin de ce dont j’aurais besoin si j’étais à sa place, sans pour cela être sauveur ou me croire “guérisseur” (avec tout l’ego spirituel qui peut y être associé). Et c’est d’ailleurs pour cela que le don pur est si difficile, c’est parce qu’il est souvent tellement entouré d’un désir d’être reconnu par le fait d’avoir été celui ou celle qui l’a sauvé ou qui l’a guérit.

On peut aussi se sentir “en Agapé”, c’est-à-dire en amour de tout et de l’humanité, ressentir dans son cœur un amour prodigieux pour tout ce qui est. Pour savoir si l’on est dans cet état d’amour inconditionnel de l’humanité, ou si l’on se raconte des histoires, il suffit souvent de simplement penser ou visualiser des personnes qu’a priori on n’aime pas. Ce peut être des personnes très proches de sa famille avec qui on est en conflit, des voisins qui dérangent, des collègues ou des supérieurs hiérarchiques qui insupportent, ou tout simplement des personnages politiques que l’on déteste.

On peut développer Agapé en soi, en pratiquant des méditations du cœur, comme certaines présentes dans les méditations extatiques que je propose, où le cœur et la conscience sont présents. Et c’est ainsi que pendant longtemps j’ai utilisé un proche avec qui j’étais en conflit. Lorsque je lui envoyais de cet amour là, je voyais tous mes griefs se dissoudre, et j’entrais dans cette reconnaissance totale de qui il est. Dans la méditation, je l’aimais et voyais sa lumière divine, et au fur et à mesure de cette pratique, mon rejet envers lui a diminué.

Le test en soi est donc simple: si l’on ressent de l’amour pour l’humanité et notamment pour ces personnes que l’on ne supporte pas, c’est que l’on est en Agapé .

Attention: il ne s’agit pas d’un exercice intellectuel : il est facile de se dire « j’aime tout le monde » et de se leurrer, jusqu’au moment où un gros 4×4 fumant nous fait une queue de poisson, ou que l’on rencontre un chasseur satisfait de ses trophées. À moins d’être un saint – et même là, on pourrait en débattre – nous sommes, en tant qu’êtres humains, naturellement enclins à avoir des préférences. Cela se traduit inévitablement par des affinités plus ou moins fortes avec différentes personnes. Avant de prétendre vivre pleinement dans l’esprit d’Agapé, il est donc important d’examiner honnêtement la nature de nos relations avec autrui et la manière dont nous nous comportons envers les autres au quotidien.

Il ne s’agit pas de se forcer à aimer, de se dire « il faut que j’aime mon prochain » et d’en faire un devoir, ou d’avoir un point de vue moral sur la question, mais tout simplement de s’ouvrir à l’autre, à la possibilité que l’Amour agisse de soi-même.

En tant qu’amour universel, altruiste, spirituel. Il se donne « gratuitement », de manière désintéressée, sans attendre de retour. C’est déjà accepter l’autre tel qu’il est, avec ses qualités et ses défauts, c’est souhaiter le meilleur pour l’autre, sans que l’on y gagne quelque chose. Et surtout c’est pouvoir aimé l’autre même si l’on n’est pas aimé de lui.

Pour moi, je vois Agapé en acte chez ceux qui s’occupent de la souffrance humaine, ceux qui accompagnent les mourants, les malades, les miséreux. J’ai notamment en tête l’aumônier (ou le visiteur) de la prison qui peut voir la lumière du divin dans le meurtrier ou le pédophile. Je me demandais “mais comment fait-il?”. Maintenant je comprends: il ne justifie pas les actes commis, mais il voit l’âme de l’être qui souffre et se débat dans les propres chaines qu’il s’est créé. Et cet amour peut aider le détenu. Nul n’est à l’abri de la miséricorde.

Ces moments de grâce, où Agapé se manifeste malgré nos résistances, sont pour moi des rappels puissants à notre nature profonde. Ils me montrent que l’amour inconditionnel n’est pas un idéal lointain, mais une réalité vivante qui cherche à s’exprimer à travers nous. Bien sûr, il y a des jours où je me sens loin de cet idéal. Des jours où les nouvelles du monde me submergent, où la souffrance semble trop grande pour être embrassée par le cœur. Dans ces moments-là, je reviens à des pratiques simples : la méditation du cœur, la gratitude pour les petites choses, les pratiques de pardon (et notamment Ho’oponopono) un acte de gentillesse envers un étranger. Ces gestes, aussi modestes soient-ils, me reconnectent à la source d’Agapé en moi.

J’ai appris que vivre Agapé ne signifie pas être parfait ou ne jamais ressentir de colère ou de tristesse. Et en effet vouloir être parfait serait créer une dissonance en nous, et donc un acte de non-amour envers nous, l’inverse même d’Agapé qui est est plutôt un engagement à rester ouvert, à continuer d’aimer même quand c’est difficile, à voir la lumière divine en chacun, y compris en soi-même, surtout dans nos moments d’ombre.

Rien n’est possible sans Agapé

Et je voudrais finir par le nouveau testament, là où l’usage d’Agapé est apparu, avec une lettre de Paul aux Corinthiens

Car même si je parle avec le langage inspiré de l’Esprit Humain et les voix des Anges, mais sans Agapè, je ne serais rien de plus qu’une cymbale bruyante,
Et même si j’avais le don de prophétie, la compréhension de tous les mystères, toute la gnose (connaissance spirituelle), et une foi capable de déplacer les montagnes, sans Agapè, je ne suis rien.
Et quand même si je donnais tous mes biens aux pauvres, et que je livre mon corps pour qu’il brûle comme un flambeau éclairant le chemin, si je n’ai point l’amour Agapè en moi, cela ne me sert à rien.
Agapè est patient et bienveillant, ne connaît ni l’envie ni la haine. Agapé ignore la colère, ne se vante point et n’est point orgueilleux. Il ne fait rien d’inconvenant et ne cherche point son propre intérêt, il ne s’irrite point contre les autres et ne trame pas le mal. L’injustice l’attriste, la vérité le réjouit.
Agapé ne se réjouit point de l’injustice, mais trouve sa joie dans la bonté, la beauté et la vérité. Agapè ne renonce jamais, ne perd jamais la foi, garde confiance et persévère en toute circonstance. [Cor 1(13:1-8)]