Par Jacques Ferber.

Il semble de plus en plus difficile d’être un homme à notre époque. Les repères masculins traditionnels ont disparus. Les hommes, mal dans leur peau, ne veulent plus de l’ancien modèle du « macho » fondé sur la compétition, l’agressivité et la misogynie. Mais, accusé par les médias de tous les maux, repoussés par les femmes qui se plaignent qu’il manque de virilité et se comporte comme un petit garçon qui ne prend pas ses responsabilités, il ne sait plus où il est.

En effet, le discours dominant associe le masculin à violence, domination, objétisation sexuelle des femmes. Et ce discours est entendu par de plus en plus d’adolescents et de jeunes hommes qui introjectent cette part négative et se disent: « si être un homme c’est être agressif, violent, abuseur sexuel, tyrannique et insensible, alors je préfère ne pas être un homme ! »

Et c’est tout à fait compréhensible.

Et c’est ainsi que des hommes élevés dans des cellules familiales où le père est souvent absent, en arrivent à refouler leur puissance virile pour « s’auto-castrer » psychiquement, et refusent tout ce qui de près ou de loin, pouvait être pris comme de l’agressivité ou de la violence.

Étant perdus, certains se réfugient dans des espaces où l’on met en scène une virilité guerrière récusée par ailleurs. Qu’il s’agisse de films d’action, de jeux vidéos (souvent guerriers), ou de porno, c’est une image de l’homme fort, viril, agressif, souvent violent qui est prônée, que regardent ces jeunes hommes gentils, bien incapables de faire le dixième de ce qui est présenté sur les écrans. Ils vont ainsi chercher dans ces histoires, ces vidéos et ces récits cette énergie qui leur fait défaut.

Je ne compte pas le nombre d’hommes qui arrivent dans les stages de Tantra dans cet état de peur de leur propre puissance.

Quelques exemples: Thomas, 40 ans, informaticien, un peu rond, très sympa et intelligent, incapable de pousser un cri tribal dans un cercle d’homme, mais qui connait tous les super-héros par coeur. Ou encore Alex, 38 ans, artiste, très long et fin, qui n’ose pas dire “non” de peur de “faire du mal” et qui, en même temps, fait fuir toutes les femmes par ses côtés maladroits, alors qu’il est un adepte des films pornos qu’il se passe en boucle le soir de manière compulsive.

Pour une nouvelle alliance entre le masculin et le féminin

Mais si ce n’était pas cela le masculin? Si les médias ne parlaient que de l’aspect négatif de cette polarité? Si, sans nier qu’il existe cette part d’ombre, il y avait aussi une part lumineuse, positive du masculin ? Le masculin entreprenant, soutient et protecteur, créateur, contenant, constructeur, inventif qui utilise ses capacités physiques et cognitives à construire, organiser, et réaliser des objets qui seront utiles à tout le monde. Regardez autour de vous: tous les bâtiments, les routes, les outils, les voitures, les téléphones et les ordinateurs, tout cela a été créé par des hommes qui ont utilisé leur masculin sain pour procurer un environnement agréable, chaleureux et accueillant à chacun et chacune, pour que nous puissions tous manger à notre faim (même un peu trop parfois 😉), dans le confort de nos maisons bien chauffées, disposant de cuisines équipées, de salles de bains et de toilettes individuelles. Tout ce qui constitue notre environnement quotidien et que nous avons oublié tellement cela nous semble naturel. Et idem pour tout ce qui touche à la communication, aux transports, à l’approvisionnement en nourriture et en biens de toutes sortes. Pratiquement tout a été conçu et une bonne part créé par des hommes incarnant leur masculin sain.

Ce n’est pas pour diminuer l’aspect sombre du masculin mais simplement pour rappeler l’évidence, ce qui va tellement de soi qu’on l’a oublié. Ce n’est pas non plus pour diminuer l’importance du féminin qui, en grande partie au travers des femmes, nous a donné la vie, soigné, nourri, éduqué, donné de l’amour, raconté des histoires, et fourni le plaisir d’être en relation avec l’autre, de partager ses ressentis, sa vie, de se connecter l’un à l’autre. C’est pour reconnaître l’importance de chaque polarité: sans le féminin, nous ne serions pas vivant, et sans le masculin nous en serions encore à vivre à l’époque des cavernes.

Et l’enjeu, me semble-t-il aujourd’hui, c’est de trouver cette nouvelles alliance entre le masculin et le féminin, dans l’égalité, sans hiérarchie de valeur, afin d’apporter plus de conscience et d’amour dans le monde.

Dans ce contexte, il est important de faire grandir ce masculin sain dans tous les hommes qui sont en chemin, de (re)donner à l’homme sa puissance virile et son ouverture du coeur, afin que nous puissions nous accompagner ensemble, hommes et femmes, sur le chemin de la Vie, dans l’union.

Mais comment ?

D’abord, bien considérer que le « léche botte » auprès des patrons, le mari qui bat sa femme, le petit chef qui veut affirmer son statut à ses subalternes, le jeune cadre masculin sexy et le père émotionnellement distant n’incarnent pas un masculin sain, mais une version immature et toxique du masculin. En d’autres termes, ce sont de petits garçons qui se prétendent des hommes.

Le masculin sain est au contraire créatif, courageux, protecteur, cadrant et contenant, permettant à chacun d’être plus responsable et de grandir harmonieusement en étant ouvert au féminin.

La construction de ce “masculin sain” n’est pas une notion nouvelle mais le thème principal des plus grands mythes et récits que l’humanité ait produite. De Gilgamesh au Seigneur des Anneaux, des voyages d’Ulysse à Star Wars, en passant par les sagas nordiques et le cycle Arturien (les chevaliers de la Table Ronde), un grand nombre d’histoires ne parlent que de ça: comment devenir un homme, éviter les écueils des aspects toxiques du masculin, traverser les épreuves de la vie, ne pas succomber aux compulsions attirantes qui finalement enchaînent et s’unir aussi bien au féminin à l’intérieur de soi qu’à la femme incarnée, afin de créer un monde harmonieux où règne la paix et l’abondance.

Mais c’est un peu comme si on avait perdu de vue le sens de ces histoires, qui reviennent sur les écrans de manière répétitives comme s’il s’agissait simplement de divertissements pour les ados. Non, c’est bien plus puissant que ça.

Les archétypes de C. G. Jung

Ce que nous montrent ces récits c’est qu’il existe des ressources puissantes en chaque homme (et bien sûr aussi en chaque femme, mais ici je parle essentiellement du masculin) qui émergent sous la forme de figures premières et essentielles de la psyché qui proviennent de notre inconscient collectif et donnent du sens à nos actes individuels et collectifs.

Et ces ressources sont les archétypes.

L'archétype du Roi

Le Roi Arthur est une figure de l’archétype du Roi, de celui qui gouverne avec sagesse et puissance son pays pour créer la meilleure harmonie possible et mettre de la joie dans la vie de ceux qu’il gère.

Avec le travail de C. G. Jung, on parle d’archétypes. Un archétype est une structure psychique, commune à tout le monde, qui vit au plus profond de notre inconscient collectif et que l’on retrouve chez chacun. Elle se manifeste dans les différentes cultures sous la forme de figures ou de schémas de récits mythologiques ou religieux. Pour Jung les archétypes forment la fondation préalable de toutes les expériences personnelles. Que l’on travaille à Wall Street, que l’on soit un bushman en Afrique ou un agriculteur dans la Creuse, nous avons les mêmes structures archétypales au fond de nous. Les dieux et déesses de la Grèce antique tels que Aphrodite (Vénus), Arès (Mars), Perséphone ou Zeus (Jupiter) sont des figures archétypales, c’est-à-dire des incarnations particulières des archétypes de la Grande Déesse de l’Amour, du Guerrier batailleur, de la Magicienne, ou du Roi tout puissant. Et dire cela n’épuise pas la compréhension de ces figures dont le sens est multiple et que l’on peut comprendre sur différents plans.

Les récités mythiques ne sont pas morts. Ils ne sont plus donnés dans des temples, mais ils peuplent les grands récits des films à succès. Je pense notamment au Roi Lion, qui décrit comment un garçon devient Roi, après avoir traversé l’errance et la culpabilité d’avoir tué son père. Si ce film a eu autant de succès (comme la Belle et la Bête qui décrit l’histoire archétypale de la manière dont une jeune fille peut devenir femme en quittant l’amour de son père pour aller à la rencontre de l’homme), c’est que son histoire trouve une résonance incroyable en nous, car elle est fondée sur des figures et des formes inconscientes que nous possédons tous. Et beaucoup d’hommes auront à vivre pratiquement la même chose pour devenir des hommes réalisés.

Les archétypes du masculin

Aux Etats Unis, en reprenant les travaux de Carl Jung sur les archétypes, Robert Moore et Douglas Gillette, les auteurs de King, Warrior, Magician, Lover 1 ont fait émerger quatre archétypes principaux du masculin mature que l’on retrouve à travers les mythes et la littérature depuis la nuit des temps:

  • le Guerrier (l’énergie de l’action qui permet de traverser les épreuves et de protéger les siens),
  • le Magicien (l’énergie de la création, de la connaissance et de la pensée incarnée),
  • l’Amant – aussi appelé Poète – (l’énergie du cœur et de la reliance à autrui et au monde), et enfin
  • le Roi, qui synthétise les trois premiers archétypes, et définit l’énergie du leader, du souverain, de l’incarnation de l’ordre juste et bienveillant.
L'archétype de l'Amant

Jack Dawson, joué par Leonardo Di Caprio, incarne l’archétype de l’Amant (Amoureux) qui vit au travers de sa passion pour Rose (Kate Winslet).

Chacune de ses figures présente une face lumineuse, et deux faces sombre, celle de l’homme qui n’a pas intégré assez de cet archétype, ou au contraire qui utilise cette énergie archétypale de manière pulsionnelle au service de son ego.

Par exemple l’archétype du Guerrier dont la partie lumineuse est liée au courage, à la volonté, l’action juste, la protection, la clarté de pensée et surtout la prise de décision rapide en situation de stress, possède deux faces sombres: celle de la Brute cruelle, qui utilise sa force et sa puissance au détriment des autres, et celle du Lâche, de celui qui abandonne son poste et fuit, envahi par la peur, là où il s’agirait de combattre et s’opposer en mettant sa puissance au service des siens.

De même le Magicien présente deux faces sombres, celle du Manipulateur et de l’adepte de la Magie Noire, qui utilise ses pouvoirs pour lui-même et ses désirs égotiques, et celle du MonsieurJeSaisTout qui utilise sa connaissance pour parader et surtout empêcher les autres de réaliser ce qu’ils ont à faire.

L’Amant, lui aussi possède deux faces sombres, celle du trop, du passionné jusqu’à l’addiction, qu’il s’agisse de séduction féminine ou de passion artistique si puissante que l’homme s’oublie lui-même ainsi que ses proches pour s’abandonner à ses pulsions, ou celle du pas assez, de la froideur du cœur, du manque d’enthousiasme, du manque d’élan et de la dépression.

Enfin, le Roi qui est une figure d’intégration des autres aspect du masculin peut aussi montrer deux visages sombres: celui du Tyran, qui impose sa volonté pour sa propre satisfaction, comme le sont souvent les Big Boss dans les histoires de héros, et celui du Faible, qui ne sait pas prendre de décision, comme Denethor, l’intendant du Gondor dans le Seigneur des Anneaux, qui n’arrive pas à s’opposer à Sauron et se suicide, incapable de faire face à ses responsabilité.

On le voit, si la face lumineuse est toujours tournée vers un accomplissement qui va au delà de soi, les faces sombres sont toujours mues par les pulsions et les peurs. A l’inverse, les « méchants » dans les histoires de héros, sont des individus qui sont tombés du côté obscur de la Force, c’est-à-dire qui sont restés enlisés dans les aspects sombres des archétypes.

Même si Moore et Gillette, les auteurs du livre précité, ne traitent que de ces quatre archétypes principaux du masculin, il en existe bien d’autres. En voici quelques uns: le Bouffon (ou Farceur), le Vieux Sage, le Mystique, l’Aventurier, le Rebelle, l’Artisan, le Bâtisseur, le Grand Prêtre, l’Epoux, le Guérisseur, etc. Et chacun de ces archétypes peuvent se recouper avec d’autres. Par exemple, la figure de Dumbledore (Harry Potter), celle de Gandalf (le Seigneur des Anneaux) ou Yoda (Star Wars) renvoient au Vieux Maitre Magicien Sage, condensé du Vieux Sage et du Magicien, figures archétypales que l’on rencontre très souvent dans le voyage du Héros.

Il faut savoir que le nombre des archétypes possibles n’a pas été défini par Jung 2, et leur liste dépend donc des auteurs ultérieurs qui se sont penchés sur ces archétypes.

Le Héros

Une mention particulière dont être donnée à l’archétype du Héros, figure dynamique qui domine la psyché du jeune homme et qui caractérise le passage de l’adolescence à l’âge adulte. Il n’est pas nécessaire de lister tous les films d’action et d’aventure qui reprennent ce voyage du héros, ce récit où l’homme jeune va devoir aller à la rencontre de son destin, en surmontant des épreuves, en se faisant aider par des figures archétypales de sagesse (le Mentor), en aidant les faibles et les opprimés pour affronter le « méchant », l’horrible individu tout puissant qui n’est au final que son double obscure, son « ombre » pour reprendre la terminologie Jungienne.

Dans ce cheminement, le héros va se mettre en route et incarner le Guerrier courageux et puissant qui git en lui, en quittant l’insouciance de la jeunesse, pour ensuite s’allier à sa partie féminine (l’Anima chez Jung) représentée par une belle jeune femme qu’il va aimer et qui va l’aider dans son cheminement. Il va se connecter à la partie la plus sage de lui-même en suivant les conseils de son mentor, le Vieux Sage, qui va lui apprendre à se servir de ses propres pouvoirs et à révéler ses dons cachés. A l’arrivée, le héros devient Roi, comme Aragorn du Seigneur des Anneaux ou Simba du Roi Lion, ou passe sur un autre plan comme Héraklès ou Luke Skywalker dans Star Wars. Cela signifie que son rôle en tant que héros est terminé, et qu’il a accompli les exploits qu’il avait à accomplir. L’archétype du Héros n’est donc là qu’en transition, comme un passage de l’innocence de la jeunesse (le héros à ses débuts) à la maturité responsable de l’âge adulte (le Roi ou l’homme accompli que devient le héros à la fin de l’histoire).

C’est au travers de ces archétypes que nous accompagnons les hommes, Jean-Marc Bélanger et moi-même, dans des stages pour homme, mais aussi dans les stages mixtes où les hommes peuvent aller chercher leur puissance et leur ouverture du coeur face aux femmes.

 


Notes:

  1. King, Warrior, Magician, Lover: Rediscovering the Archetypes of the Mature Masculine (Harper, 1990). Etonnamment, le livre de ces auteurs, bien que datant de plus de 30 ans n’a toujours pas été traduit en français, alors qu’il l’a été dans de nombreuses langues.
  2. On trouve parfois sur Internet des auteurs qui parlent des 12 archétypes de Jung, mais si Jung a donné quelques exemples d’archétypes, il n’en a pas donné de liste.