Par Jacques Ferber.

La « Casa de Papel » est une série qui a fait le tour du monde. Le secret de sa réussite, indépendamment du sujet et du suspens qui est présent à chaque épisode, réside dans la diversité de ses personnages qui se révèlent dans le stress de l’intensité des actions. C’est bien sûr l’opposition entre leurs caractères, la manière dont ils vont réagir dans des situations de danger extrême qui est intéressant.

  • Le professeur, surtout dans la première saison, vit dans sa tête. Toujours à élaborer de nouveaux plans pour résoudre un problème. On a l’impression qu’il a tout lu, tout vu, qu’il sait tout.
  • A l’inverse, Tokyo est réactive et impulsive, prête à tirer au moindre danger, ou à faire l’amour dans un élan vital incroyable. On pourrait dire qu’elle pense avec son corps, comme un animal qui suit son instinct de survie.
  • Stockholm n’est ni dans sa tête, ni dans son corps, mais dans son cœur, ou plus exactement dans l’ensemble des émotions qui l’envahissent.

Ces trois personnages incarnent le fait de vivre essentiellement dans l’un des trois centres énergétiques principaux qui sont à la base des pensées, des réactions et du comportement de l’individu.

Ces trois centres sont:

  • le centre de la tête (du mental à la Conscience),
  • le centre du cœur (de l’émotion à l’Amour),
  • le centre du corps et du sexe (de la pulsion à la Vivance).

Le centre de la tête

Situé naturellement dans la tête, et plus précisément entre les deux sourcils, à l’endroit du troisième oeil (le 6ème chakra), ce centre est relié à tout ce qui intellectuel et mental. C’est avant tout la connaissance, la parole, l’expression, la capacité à voir, à comprendre, à raisonner, et à apprendre de manière cognitive ou mentale.

Tout notre environnement technologique a été conçu par des personnes ayant utilisé principalement ce centre pour créer les machines, les outils, les dispositifs, faire les plans des constructions, et d’une manière générale d’élaborer l’essentiel de la techno-structure de notre société. Comme le professeur, celui ou celle qui utilise ce centre peut prévoir et anticiper ce qui va advenir et planifier des actions. C’est aussi la merveille qui nous permet de nous représenter le monde, de réfléchir sur quelque chose, d’élaborer des cartes et des modèles de la réalité, d’élaborer des concepts, de comprendre le monde. C’est le domaine des sciences et de la philosophie et d’une manière générale de tout ce qui touche à la réflexion et à la raison.

Ce centre, lorsqu’il fonctionne à un niveau plus subtil, c’est aussi la conscience, c’est-à-dire la capacité à « voir » en se détachant de ce qui se passe. Dans le domaine du développement personnel, la conscience est l’outil principal qui nous permet de « prendre conscience » de nos propres mécanismes affectifs et relationnels, afin de s’en détacher progressivement. C’est particulièrement vrai dans le domaine affectif et sexuel où le rapport à l’autre est bien souvent plus le fait d’un manque affectif, d’une pulsion de désir ou de peurs que d’un réel élan d’amour ou d’un choix rationnel.

La conscience, c’est le début des thérapies qui nous permettent de voir que quelque chose dans notre histoire n’a pas été bien réglée, ce qui fait que nous sommes affectés par le comportement d’autrui et que nous répétons les mêmes situations souffrantes en boucle. Pour voir nos « ombres », il est nécessaire de développer un oeil acéré vis-à-vis de nous-mêmes, de ne pas nous ménager sans entrer non plus dans la honte ou la culpabilité. La conscience, c’est donc cet oeil là, où l’on regarde en soi-même plutôt qu’en critiquant les autres, où l’on prend la responsabilité de ce qui nous arrive pour arriver à sortir du jeu des jugements, de la médisance ou de l’auto-accusation.

C’est avec cette conscience, ce témoin, que nous réalisons peu à peu que tout ce que vivons est le fait de notre propre création, et que nous pouvons « décréer » tout ce qui ne nous convient pas.

Plus on avance sur le chemin vers nous-mêmes, plus le témoin se développe et plus on prend conscience de ce qui nous anime et nous fait peur. Nous « voyons » alors ce qui se passe en nous avec curiosité et amour, afin d’arrêter de créer notre malheur pour y mettre, à la place, de la joie, et transformer ainsi notre vie de labeur en vie de bonheur. C’est aussi grâce à la conscience que nous pouvons choisir de ne plus « subir », et aller chercher d’autres ressources en nous pour poser nos limites, et passer à l’action du changement.

Enfin, au niveau spirituel, la conscience est la faculté principale par laquelle le monde nous apparait, par quoi nous faisons l’expérience de tout ce que nous vivons. C’est à la racine même de notre être, ce par lequel chacun peut dire à la fois « je suis » et « le monde est là ».

Le centre du cœur (affectivité et émotions)

Le centre du cœur, qui est situé au milieu de la poitrine et qui correspond au chakra du cœur (4ème chakra) est ce qui nous ouvre pleinement à l’autre. C’est le siège de notre rapport émotionnel aux autres et à nous-mêmes.

Et c’est bien entendu le centre qui régit ce qu’on appelle l’amour, et plus particulièrement l’amour philia, constitué de bienveillance, d’empathie, d’altruisme et d’envie que l’autre aille bien.

Cet amour empathique ou bienveillant n’est pas l’amour passion que l’on vit comme un sentiment amoureux, mais une manière très particulière de se connecter avec les autres, ou avec une partie de soi, pour prendre soin de l’autre, en voulant tout simplement le bien de l’autre. C’est ce qu’on appelle communément la bienveillance qui vient du latin benevolens vouloir le bien de l’autre.

Etre bienveillant c’est ne pas juger négativement les comportements de l’autre, mais considérer qu’il ou elle n’a pas, a priori, l’intention de me nuire et que ses actions sont portées par des intentions à la fois rationnelles et bienveillantes. En d’autres termes, l’autre n’est ni un « con » ni un « salaud ». Il ou elle n’est pas « horrible » mais répond simplement à sa propre logique et ses valeurs, même si ce ne sont pas les nôtres.

La bienveillance nous pousse à faire preuve d’indulgence envers l’autre, en pardonnant ses petits travers et en essayant de l’accepter tel qu’il ou elle est, sans le ou la juger. Cela ne signifie pas tout accepter de l’autre, il est important bien sûr de se respecter, mais d’essayer de comprendre l’autre en regardant le monde avec ses yeux. Etre en empathie ne veut pas dire adhérer, être d’accord, mais voir la logique qui est à l’oeuvre chez l’autre, même si elle diffère de la nôtre.

Dans l’approche tantrique, on invite chacun à développer sa bienveillance, son amour, envers l’autre, mais aussi à soi-même. C’est souvent dans une dépréciation de soi-même que se situent la plupart des problèmes relationnels que nous rencontrons. La culpabilité et la honte sont alors les sentiments les plus pénalisants dans notre développement personnel, qu’il sera nécessaire de dépasser – tout en conservant notre respect envers l’autre – pour accéder à la Joie1.

Le centre corporel (vitalité et sexualité)

Le centre corporel régit la vitalité physique et énergétique de l’être, en tenant compte aussi bien des besoins vitaux (manger, boire, dormir), que de l’énergie vitale et sexuelle. C’est aussi de là que sont issus les mouvements du corps, comme les arts martiaux et la danse l’illustrent bien.

Lorsque ce centre est vibrant et habité, on se sent vivant et joyeux de vivre. Inversement, lorsqu’on manque d’ancrage, lorsque ce centre physique est moins présent, l’individu se sent plus balloté, soumis aux émotions ou aux pensées envahissantes. C’est l’énergie de base de notre être, qui dirige notre vitalité et nous relie aux autres de manière plus instinctive. Sans cette énergie vitale, quand on est malade par exemple, tout l’être est diminué, plus rien n’est possible.

Lorsque j’ai attrapé le Covid-19, j’ai été terriblement fatigué pendant une bonne dizaine de jours. Le moindre mouvement m’était difficile. Non pas que j’avais mal, je ne me sentais globalement pas très atteint, mais aller me chercher un verre d’eau était devenu un exploit. Et je n’avais plus aucune motivation, plus aucun élan, pour rien. Cela m’a encore plus montré l’importance de la vitalité pour d’abord désirer et ensuite agir. Sans vitalité et sans désir, nous restons comme des légumes à laisser passer le temps 2.

Lorsque nous nous sentons vivants, nous nous sentons aussi pleins d’énergie, remplis d’enthousiasme, source de Joie, pour tout ce que nous accomplissons.

Se sentir « vivant » est essentiel, c’est d’ailleurs peut-être la sensation la plus forte, le désir le plus profond de chacun. C’est justement ça la « vivance »3 cette manière de ressentir et d’incarner la vie. Et c’est dans le corps que d’abord cette vivance s’exprime.

Si nous n’arrivons pas à exprimer notre vivance, c’est-à-dire cet élan naturel, composée d’enthousiasme et d’allant, d’accomplissement de notre être profond, nous nous sentons déprimés et malheureux. Si nous ne prenons pas notre juste place dans notre vie, aussi bien dans nos relations affectives qu’au travail, la vie nous semble morne, grise, sans relief.

Cette énergie profonde, se trouve à l’intérieur de nous, reliée à notre corps, à notre fluidité physique, à notre capacité à bouger, et à ressentir notre corps. Comme nous pouvons en faire l’expérience chaque jour, bouger, marcher, courir et danser, mais aussi nous toucher, nous étreindre, nous masser et nous caresser de manière juste nous donne naturellement de la joie.

Ce n’est pas en restant assis chez soi à regarder des séries (même excellente comme la Casa de Papel 😉) ou à parcourir les réseaux sociaux pendant des heures que nous allons trouver cette vivance. Car c’est une vie par procuration que nous vivons alors. C’est au contraire en agissant, en rencontrant, en interagissant avec les autres, en ressentant notre corps que nous sentons vivant. Même si les pratiques de méditation sont essentielles, elles ne suffisent pas. Nous avons aussi besoin d’être en contact avec l’autre, d’étreindre les personnes que l’on aime, de manger des plats qui nous plaisent et de faire ainsi l’expérience physique et charnelle de la vie. Vivre faire l’expérience de la vie terrestre: sentir l’air sur sa peau, la douceur d’une caresse, la fatigue après une bonne marche, le froid de l’hiver ou la chaleur d’un été caniculaire, un repas entre amis, une rencontre sexuelle sauvage ou doucement sensuelle… Rien n’est à jeter, ni à regretter. Tout est à vivre !

Dynamique des centres

Si les centres ne fonctionnent pas ensemble…

Lorsque les centres ne fonctionnent pas ensemble, lorsque l’un de ces trois centres est bloqué, fermé, des difficultés apparaissent.

Chaque centre peut fonctionner seul. Les personnes qui opèrent uniquement avec le corps sont souvent considérées comme lourdes, rustres, basiques, ou instinctives, animales. C’est un peu l’image de l’homme ou de la femme des bois, qui vit près de la nature, relié.e uniquement aux instincts et aux fonctions de survie, sans se soucier de la relation à l’autre ou des conséquences de ses actes, dans un rapport instinctif au monde.

En effet, si le centre corporel fonctionne sans le cœur, les actes ne sont plus spontanés mais pulsionnels4, régis par une force quasi biologique qui pousse l’individu à accomplir quelque chose afin de soulager une tension de l’organisme. C’est le cas bien évidemment de la faim qui conduit à manger, et de toutes les pulsions de survie (boire, dormir, uriner, se protéger du froid, etc.). Il en est aussi de même de l’acte sexuel lorsqu’il n’est pas intégré aux deux autres centres. Lorsque des amoureux s’aiment, la pulsion est régulée par le cœur, son énergie est transmutée par l’amour et le rapport sexuel devient une union (surtout si le troisième centre est ouvert lui-aussi). Mais sans cette connexion, la pulsion sexuelle cherche juste une satisfaction corporelle, sur le mode tension-décharge bien connu de la sexualité (surtout masculine) standard.

D’une manière différente, la Sexualité Sacrée amène l’individu à transmuter la pulsion, sans la nier, pour l’amener aux deux autres centres et ainsi créer une sexualité à la fois consciente, connectée, aimante, respectueuse, et néanmoins pleine d’élan.

De même si le centre de la tête n’est plus relié au corps et au cœur, il commence à agir de manière autonome. C’est le cas des activités mentales déconnectées de la pratique corporelle et de la relation à l’autre. Je connais bien cet aspect puisque c’était ma base plus jeune, et j’ai rencontré dans mon parcours de scientifique un grand nombre personnes fonctionnant sur ce régime là. C’est en effet, le mode de fonctionnement préféré de l’université et de l’enseignement public, de la recherche scientifique, des administrations et des grandes entreprises, et donc d’une grande partie de la vie économique et sociale. C’est d’ailleurs le problème d’un grand nombre de personnes de ne vivre qu’à partir de la tête, celle-ci régissant tous les aspects de la vie, donnant un aspect aride et sec à tout ce qu’elles touchent. Globalement c’est un fonctionnement plus “masculin” plus prisé des hommes mais que beaucoup de femmes de nos jours tendent à suivre.

Enfin, le cœur, lorsqu’il fonctionne séparément des autres centres, tend à rendre trop émotionnel, à faire réagir à tout propos, à toute situation, à déclencher facilement aussi bien les larmes que la colère en toutes occasions. La personne passe alors en quelques secondes de la tristesse à la colère, de la joie à la déprime, sans y mettre de conscience, engluée dans un yoyo émotionnel qui l’épuise. Et qui fatigue son entourage, car en agissant ainsi, elle se comporte comme un “vortex énergétiques”, un boulet dirait-on, en imposant aux autres ses sautes d’humeur. Vivre au travers des émotions est plus “féminin”, et même si on le trouve chez des hommes, il est plus courant chez les femmes, car elles sont plus naturellement assujetties aux variations hormonales qui influencent leur cycle.

Chez les hommes “à l’ancienne”, c’est plutôt la fermeture du cœur que l’on rencontre. Leur sensibilité à fleur de peau est masquée par un côté abrupte ou bourru. Ils ont fermé leurs cœur et tentent de se faire passer pour plus durs qu’ils ne sont alors que dès qu’on les connait, on ressent leur générosité, leur amour et leur sensibilité.

Le chemin du bonheur et de la joie consiste à réguler ces trois centres pour qu’ils fonctionnent ensemble: les pulsions sont transmutées par le cœur et la conscience; le cœur qui, tout seul, part dans tous les sens, est maintenu par l’énergie du corps et par la conscience, et la tête aride et froide quand elle fonctionne seule, est réchauffée par le cœur et dynamisée par le corps.

La Joie réside dans l’harmonie entre ces centres

Lorsque les centres fonctionnent ensemble, de manière harmonieuse, un bonheur profond s’installe naturellement.

Le cœur nourrit la tête et le corps, le corps vitalise le cœur et la tête, et la tête vient éclairer et donner une direction à tout ce qui se passe dans le cœur et le corps.

C’est alors la conscience qui s’affine et éclaire, la lumière de l’Esprit qui s’incarne dans l’individu qui devient alors canal d’une sagesse qui le dépasse. Le cœur, nourrit par la conscience d’être relié à soi et à l’autre, s’ouvre avec empathie envers chaque être. Enfin, le corps devient plus souple, plus mobile, comme si tout notre être devenait plus fluide. Nous nous sentons alors joyeux et heureux de vivre, en gratitude de ce qui nous arrive, en amour de la Vie qui devient ainsi une joie plus permanente. On se sent plus vibrant, plus connecté au monde et aux autres.

Il en ressort aussi une grande sensation de plénitude et de satisfaction: nos intentions, issues de nos désirs profonds, se réalisent sans effort, de manière fluide. Tout devient occasion de partage, de plaisir, …

Cela peut-être un road trip avec ses enfants, faire de la musique avec des amis, marcher sur un chemin de montagne, parler devant une assemblée, manager une équipe, danser un Tango, échanger un massage et bien sûr faire l’amour en conscience. Pour certains cela sera de peindre ou d’écrire, pour d’autres de danser ou de faire du yoga, pour d’autres encore de faire une balade à moto ou à cheval.

C’est différent pour chacun, mais quand nous réalisons nos désirs profonds, notre « purpose » comme disent les anglos-saxons, quand nous ne faisons qu’un avec notre élan de vie, alors :

  • notre tête trouve les solutions aux problèmes que nous rencontrons et nous aide à trouve le bon chemin,
  • notre cœur nous aide à tisser des liens justes avec des personnes qui nous feront du bien (et auxquelles nous apporterons notre lumière), sans qu’on l’ait anticipé,
  • et notre corps nous donne l’ancrage et l’élan pour traverser les embuches, afin de nous porter et d’avancer sur notre chemin de vie.

Et ce faisant, nous nous sentons alignés avec nous-mêmes, nos relations, et l’Univers. Tout devient plus simple. Tout devient une joie de vivre !

Pour en revenir à la Case de Papel, il est maintenant possible de mieux comprendre les comportements des uns et des autres. Denver fonctionne surtout avec le centre du corps, mais son cœur est bien développé, Rio est dans la tête et le cœur, et Berlin est dans la tête, un grand manipulateur qui tente de justifier son côté pulsionnel.

Les personnages les plus intégrées sont Nairobi, même si son cœur est blessé, et Lisbonne, surtout dans la saison 2 et 3, où elle montre toutes ses capacités d’intégration.

Et vous? Quels sont les centres qui fonctionnent le plus chez vous et de quelle manière?

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  1. Je distingue souvent la ‘joie’ avec un petit ‘j’ synonyme de gaieté passagère, de la ‘Joie’ avec un grand ‘J’ qui correspond plus à une félicité à simplement être, ce qu’on appelle dans la religion chrétienne, l’état de béatitude. Mais ce terme est tellement connoté que je lui préfère la Joie. ↩︎
  2. Etre sans vitalité n’est pas la même chose qu’être dans la vacuité que connaissent les grands méditants et les mystiques. La non-vitalité se rapproche d’une sorte de mort psychique alors que la vacuité (shunyata) est un vide plein très énergétique. ↩︎
  3. Ce mot existe en espagnol sous le terme « vivencia » et est très utilisé par la Biodanza qui justement a pour but que nous nous sentions pleinement vivants. ↩︎
  4. La notion de pulsion ne doit pas être vue comme quelque chose de négatif, mais comme une énergie corporelle, un élan organique pur. Il se différencie ainsi du mouvement spontané, qui est un mouvement qui vient du centre de l’être, une fois que l’on a intégré la conscience au corps. ↩︎