Par Jacques Ferber.

Qu’est ce qui est le plus près de l’élan spirituel, qui nous fait oublier nous mêmes pour nous pousser à nous tourner vers quelque chose qui est au-delà de nous mêmes ? Qu’est ce qui nous fait peur, nous attire, nous inspire et nous impulse dans une grande part (pour ne pas dire la totalité) des activités de notre vie ? L’élan sexuel tout simplement !

Le sexe est une pulsion de vie qui a besoin de la relation pour exister. Cela n’est pas vrai pour la faim ou la soif par exemple que l’on peut épancher seul. Mais le sexe n’existe pas sans la relation à autrui. Même la masturbation met en jeu l’autre dans le fantasme ou la vision d’images érotiques. Le sexe n’est pas non plus un besoin : on n’a pas besoin d’avoir de relations sexuelles pour vivre. Même si une sexualité épanouie transforme n’importe quel être triste et gris en une personne joyeuse et colorée, elle n’est pas nécessaire à notre survie. Sans le sexe, les moines et les nonnes vivent. Et pourtant, sans la sexualité de nos ancêtres, sans toutes les relations complexes qui ont existé – certaines dures, d’autres tendres – entre nos parents, nos grands-parents, nos arrières-grands-parents, nous n’existerions pas. Sans le désir sexuel qui a amené nos aïeuls les uns vers les autres, nous ne serions pas de ce monde. Nous sommes le fruit du désir entre un homme et une femme.

Cette attirance est complexe, car elle est à la fois le résultat d’une différenciation, un homme est attiré par une femme et réciproquement (je me consacrerai ici à la sexualité hétérosexuelle), et d’une union. De ce fait, la sexualité procède d’un double mouvement, un mouvement de distinction suivi d’une union.
Le sexe est d’abord affaire de séparation et de différenciation… La sexualité ne met pas en jeu deux individus, mais un homme et une femme, c’est à dire des personnes typées dans leur genre sexuel (le gender anglais). Dans le Tantra, cette séparation est poussée jusqu’à son extrême puisque l’homme devient Shiva et la femme Shakti, c’est à dire le Dieu et la Déesse. Évidemment personne ne vient à penser que l’on devient réellement des dieux ou des déesses, mais cela permet d’aller dans les profondeurs de la psyché, là où nous rencontrons les puissances de l’inconscient collectif. En fait, c’est l’archétype du dieu, ou celui de la déesse, qui vient nous habiter lors d’une rencontre tantrique sacrée. Cette reconnaissance du divin à l’intérieur de nous a deux fonctions : d’une part cela nous fait sortir de nos petites habitudes quotidiennes en nous plongeant dans un espace sacré, et d’autre part cela nous aide à transcender notre identité égotique et nous faire accéder à une perception plus fine de l’autre, de soi et du Kosmos. On peut dire que la sexualité nous polarise dans notre genre, qu’elle nous rend encore plus homme ou femme que nous ne le sommes dans la vie de tous les jours. Si au travail et dans grand nombre d’activités de la vie civile nous pouvons faire en sorte de nous côtoyer en mettant à l’écart notre genre, en laissant croire que nous sommes “unisexe”, provenant d’une sorte de genre “gris” ni homme ni femme, cela n’est pas vrai dans la sexualité où la rencontre repose justement sur cette différence.

Mais la sexualité ne s’arrête pas à la distinction et à la polarisation sexuée, car elle est suivie d’un mouvement contraire qui pousse à l’union : dans l’acte d’amour, l’homme et la femme s’unissent et se fondent l’un dans l’autre pour ne faire plus qu’un. Ils étaient deux, ils ne sont plus qu’un. Mais dans cette rencontre, les deux partenaires ne sont pas le symétrique l’un de l’autre : la femme n’est pas un homme inversé. Ils ne jouent pas le même rôle, ils ne tiennent pas la même place dans cette danse de la vie. En effet, l’étreinte charnelle, le coït, ne s’effectue pas à mi chemin entre l’homme et la femme, mais dans la femme. La femme accueille l’homme en elle et, dans sa polarité yin, s’ouvre à la puissance de l’homme. Son sexe est la coupe, le Graal des chevaliers, celle qui appelle et reçoit l’autre en elle. Le sexe de l’homme est un bâton qui vit à l’extérieur, et en tant que tel constitue le trait d’union entre les deux. La coupe appelle le bâton, le bâton a besoin de la coupe. Lorsque l’union s’accomplit la femme reçoit et l’homme donne par son sexe.
On croit souvent que l’homme “prend” la femme, et c’est souvent ce qui se passe. Mais lorsque l’union est véritable, lorsque l’acte d’amour constitue la rencontre totale des corps, des cœurs et des âmes, l’homme ne prend plus la femme : il lui fait don de sa puissance. Et son sexe est alors l’émetteur de cette énergie sexuelle, qui passe dans le sexe de la femme et qui allume la poudre du désir chez la femme.

Inversement, quand l’union est vraiment réalisée, le cœur de l’homme, qui est de polarité yin, peut recevoir l’amour de la femme qui donne naturellement son amour à l’homme, et l’énergie relationnelle de la femme passe de son cœur à celui de l’homme qui est ainsi rempli de l’amour de la femme, comme celle-ci l’est de l’énergie sexuelle de l’homme. Il s’ensuit une boucle énergétique qui unit les deux êtres, ouvre leur âme et leur fait accéder à la transcendance.
Pendant un moment, parfois long, souvent trop court :- ), deux êtres vont alors au delà de leur personne, de leur individualité pour aller justement dans leur être profond, et s’unir en revivant et recréant les origines. L’acte d’amour est un acte de création, car il est potentiellement à l’origine d’une autre vie, et de re-création car il accomplit ce que tous nos ancêtres ont toujours fait depuis des millénaires.. C’est en cela que l’acte sexuel est sacré : il rejoue la création du monde (lire Mircea Eliade à ce sujet), il rejoue la Vie qui se cherche dans cette différenciation/union.
Faire l’amour intensément, ce n’est pas jouer les jeux olympiques du sexe en contrôlant ce que l’on fait pour être plus “performant”, mais s’unir au niveau des énergies du corps, du cœur et de l’esprit. Lorsque l’union est intense, les gestes ne sont plus contrôlés. Le rythme est variable, parfois frénétique, parfois aussi lent et léger qu’une plume. Tout se passe comme si les corps n’étaient plus contrôlés, comme s’il n’y avait plus de “moi” pour maitriser et comme si les corps étaient “agi” de l’intérieur par cette pulsion de vie liée au mouvement énergétique qui relie l’homme et la femme en une danse cosmique. Les mots alors ne peuvent plus décrire ce qui se passe. On entre dans le domaine de l’ineffable, ce qu’on traduit par les qualificatifs de “magique” ou “cosmique” tout simplement parce que les mots n’arrivent plus à rendre compte de l’expérience vécue. Dans cette union, c’est la pénétration qui transforme si on sait accueillir l’énergie pénétrante de l’autre, si la femme sait accueillir la puissance sexuelle de l’homme et l’homme la puissance d’amour de la femme. A ce moment là, le circuit énergétique se met en place, le sexe de la femme appelle et le coeur de l’homme s’ouvre, les plongeant l’un et l’autre dans l’extase…
La rencontre amoureuse, si elle est ainsi faite en conscience, dans le sacré et l’ouverture à l’autre est alors l’une des voie les plus puissantes d’éveil… C’est la voie d’Eros…

Crédit: Le dessin illustrant ce billet est de Marco: marco2.0.free.fr