Par Jacques Ferber.

Le développement spirituel est comme une sorte de jeu vidéo dans lequel on passe de niveau en niveau. Et à chaque niveau, il s’agit d’une nouvelle histoire, d’un nouveau mode relationnel, d’une nouvelle conscience.

1. Initialement, au premier niveau, on vit tranquillement dans un état d’inconscience incroyable. Tellement incroyable que dans les moments d’éveil et de lucidité, on ne peut pas y croire. Comment a-t-on pu passer toute sa vie dans cet état, à appliquer des programmes internes, fruits de conditionnements biologiques et sociaux ? Dans ce premier niveau, non seulement on ne sait pas, mais on ne sait pas qu’on ne sait pas. C’est l’état d’orgueil (« moi je sais et je vais vous le dire ») ou de victime (« pourquoi tout cela m’arrive à moi ? »). A ce niveau on ne pense qu’à soi, mais on est tellement imbus et prisonnier de soi qu’on ne réalise même pas qu’on ne pense qu’à soi et que les autres n’existent pas. Ils ne sont que les ressources de nos actions ou les projections de nos désirs. On voudrait être comme la star de la télé, séduire cette belle femme ou être aimé de ce bel homme, sans voir en quoi nos désirs sont poussés par des pulsions inconscientes.

On se croit libre, et on devient vite piégé dans des addictions incroyablement puissantes (cigarette, drogue, alcool, sexe, télé, jeux vidéos, livres, etc…) dont on ne voit la puissance que lorsqu’on est sevré de notre drogue. On est alors comme Bilbo dans le film « Le Seigneur des Anneaux » qui repense toujours à son « précieux ».. Ce que l’on croyait être notre liberté (« je fais cela parce que j’en ai envie ») était en fait un programme fonctionnant en boucle, une tentation du démon. On croit que l’on est quelqu’un, mais on se rend compte qu’il y a des sortes de « bugs » dans notre fonctionnement.

Étonnamment, heureusement, qu’il y a la souffrance. C’est bête à dire, mais sans la souffrance nous ne bougerions pas, et l’on resterait ainsi à reboucler nos programmes comportementaux. Envie, souffrance, envie, souffrance, etc. sans être jamais satisfait ni réellement heureux. C’est le Samsara bouddhiste dans lequel nous cherchons juste à combler nos manques (désir d’être aimé, reconnu, valorisé… peur d’être abandonné, abusé, trahi, rejeté, nié, de ne pas être à la hauteur, etc.) sans se rendre compte que nos actions conduisent généralement à augmenter les problèmes et à nous placer dans des situations où soit nous souffrons encore plus, soit nous vivotons pour ne pas souffrir. Mais la prise de conscience de cet état, grâce à la souffrance, nous fait avancer. On se tourne vers la psychothérapie, le développement personnel ou le chemin spirituel pour mieux comprendre nos mécanismes et sortir de notre souffrance. Initialement, on cherche à moins souffrir, à être moins seul, à être quelqu’un, à exister, à panser des blessures ou à avoir un peu de succès dans le monde. On était « mal » et voudrait « aller mieux »… et cela nous fait passer au niveau suivant. C’est pour cela que Yeshua parlait aux gens simples et souffrant : ce sont eux qui peuvent entendre le message du divin, car ils ont l’impression que, de toutes façons, ils n’ont plus rien à perdre, alors que ceux qui ont tout sont sourds à sont appel. C’est en cela que « les premiers seront les derniers ». C’est par les défauts de notre cuirasse, et par les fracas de la vie que l’on peut recevoir la lumière.

2. Au deuxième niveau, on se rend compte qu’il y a quelque chose d’autre. On commence le chemin, nos yeux se décillent un peu. « Un voile épais me cachait les yeux, et j’ai vu une vague lueur là bas, loin, très loin… et j’ai frappé à la porte », disent certains rituels ésotériques. Alors on commence le chemin, avec des moments d’extase et de révélation, et des moments de tristesse, de déchirement. On se libère peu à peu des voiles, peu à peu de nos armures et de nos valises si lourdes à porter… Mais cela ne se fait généralement pas facilement, car nous sommes attachés à nos biens, attachés à nos relations, attachés à nos identités…

Nous cherchons la sécurité, bien que nous sachions que la mort nous attend. Parfois, dans des éclairs de lucidité, nous voyons l’enfer sur Terre, le rouleau compresseur de la Vie. Parfois même, en nous tournant vers Dieu, nous pouvons même en venir à le maudire, lui qui nous a fait venir sur Terre ainsi. « Comment peux-tu te prétendre bon, alors qu’il n’y a que souffrance autour de nous ? », « comment peux-tu dire que tu es Amour, alors que je ne vois que l’ego et la haine ? » Alors il répond tout doucement : « tu n’as pas assez bien regardé. Tu vois mieux qu’avant, certains voiles ont été enlevés, et tu peux sentir la souffrance de chacun, mais tu n’as pas encore été assez loin… Regarde mieux en ouvrant encore plus ton cœur ». Et on commence à regarder avec ce regard nouveau, dont les lunettes s’appelle Amour. Amour inconditionnel, sans aucune raison, ni objet, mais amour pour tout ce qui est. Et l’on voit alors la lumière dans chaque cœur, et en quoi nous faisons tout pour ne pas la voir à l’intérieur de nous, comment nous refusons sa présence bienfaisante, comment nous résistons à son appel. Et là on découvre que les sécurités n’en sont pas ; que la richesse, si elle permet d’avoir un peu de confort, ne nourrit pas intérieurement l’âme, et qu’on peut se trouver aussi désemparé riche que pauvre. Disons, que la tristesse, la solitude et le manque d’amour sont un peu plus facile à vivre riche que pauvre, mais dans les deux cas, il ne s’agit pas de bonheur.

Alors on écoute encore plus cette voix qui vient de l’intérieur de l’être, cette voix qui vient du cœur et qui dit : « abandonne toi à moi ». Cette voix est douce et pleine d’amour, mais elle fait néanmoins peur, car elle n’offre aucune garantie. Elle dit juste « fais confiance, tu verras… » Et là le Moi est pris de panique. Si vous êtes introverti, cette voix est effrayante car elle demande d’aller au grand jour, de rencontrer la lumière, de déchirer cette séparation d’avec la Vie qui s’est construite peu à peu. Si vous êtes introverti, elle vous demande d’arrêter de courir après les choses du monde pour aller à la rencontre de vous même, d’aller dans l’intimité de votre cœur. En gros, elle nous demande d’intégrer cet aspect de nous-mêmes que nous avons évité toute notre vie. « Va là où tu n’as jamais été, va là où tu ne veux surtout pas aller. » Non pas par défi ni provocation, mais juste pour être réellement plein et vivre la liberté de l’être, qui ne peut arriver que si l’on est totalement soi.

3. Le troisième niveau : Une fois que l’on a fait ce travail, un jour, après une épreuve difficile qui nous a fait ouvrir les yeux, et permis de supprimer un ensemble de peurs, on passe au troisième niveau et on se retrouve au contact de son âme. C’est elle qui prend les rênes, qui décide. Le « petit moi » n’est plus le tyran qu’il était, et quand il réapparaît cela faire rire, car il est si petit et ses désirs sont si mesquins comparé à l’étendue du monde ! Alors, sans même y penser, nos actes se tournent vers l’humanité et nous nous engageons au service de la Vie. Non pas tant pour « faire le bien » que pour se réjouir de chaque instant, pour être totalement et avec enthousiaste dans ce que l’on fait. La meilleure boussole de l’âme, c’est l’enthousiasme, car il indique notre alignement avec le désir puissant de notre âme, ce que l’on appelle parfois « notre mission ».

Ce qui enthousiasme l’âme, c’est toujours en relation avec la créativité, la rencontre, le soin, le fait de s’occuper des autres, des animaux, des plantes, du monde. C’est aussi en lien avec la compréhension, la recherche de la Vérité et de la Connaissance, le désir d’explorer des espaces nouveaux. Il peut s’agit de dépassement de soi (quand ce dépassement de soi sert l’être humain), ou de monter des projets réalisés avec conscience, pour le bien du monde. C’est ça l’âme. Elle n’y peut rien. Elle ne s’enthousiasme que pour cela, car elle est en contact avec toutes les autres âmes. Il n’y a que le moi pour ne pas voir que nous ne sommes pas séparés. Elle est naturellement bodhisattva, aidante, aimante, préoccupée de la totalité des êtres, l’intégralité de l’Etre. Alors, à ce niveau, on donne, on crée, on fait. Non pas pour obtenir, mais par empathie, pour le plaisir de donner, sans chercher à recevoir. Si l’on donne une pièce à un mendiant, c’est un peu pour lui, mais aussi pour soi. Non pas pour recevoir des remerciements, mais simplement parce que donner ouvre le cœur et nous rapproche de Dieu. C’est ce qu’on appelle « l’Egoïsme Divin » (divine selfishness) qui fait que, si on ne le cherche pas spécifiquement (sinon, cela ne marche pas, Dieu déteste les marchandages…), plus on donne, plus on reçoit. Nous passons parfois en amour inconditionnel et recevons l’extase naturelle qui en découle.

Il y a encore d’autres niveaux, mais cela sera pour une autre fois…