Par Jacques Ferber.

L’origine des conflits interpersonnels réside dans la peur et plus particulièrement dans notre difficulté à gérer des états émotionnels extrêmes. Quand deux personnes entrent dans leurs émotions, par exemple quand l’une à l’impression qu’elle est agressée par ce que vient de dire ou faire l’autre, et que la seconde réagit à la réaction de la première, les deux entrent dans un « ping-pong » agressif dominé par le système limbique et le tronc central. Quoi qu’elles disent, tout est interprété par leur système de défense qui voit chez l’autre une possible agression. Notre cerveau reptilien nous dit que nous sommes en danger et que nous devons réagir par l’une des réactions automatiques programmées génétiquement : la fuite, l’agression ou l’inhibition. Dans un couple, il va s’en suivre une « guerre des sexes » entre l’homme et la femme, chacun réagissant aux propos de l’autre.

Ce système de défense est d’autant plus présent que nos émotions ont été réprimées alors que nous étions enfant, par des comportements humiliants, culpabilisants ou des formes d’abus (sexuel ou affectif). Pour réagir à ces comportements, nous avons développé des stratégies de défenses internes. Notre système protecteur s’est développé et nous sommes vigilants à tout ce qui pourrait nous replonger dans les affres que nous avons connues. Ce sont nos blessures que nous avons maladroitement pansées et qui sont toujours à vif, hypersensibles et prêtes à saigner dès que nous interprétons les comportements d’autrui comme des tentatives de nous replonger dans cette douleur. Et ces protections se sont constituées sous la forme de tout un ensemble de murs défensifs, gardées par le mental et ses ensembles de croyances et de valeurs sur la vie.

Neuronalement parlant, le système limbique et le cortex « ancien » (l’ensemble du cortex à l’exception du cortex préfrontal) s’associent au tronc cérébral (le cerveau reptilien) pour nous protéger, mais en nous mettant dans une situation de préparation de guerre. Et quelque part, nous sommes comme des soldats veillant sur le mur de défense en attendant que l’ennemi vienne :

Je m´appelle Zangra et je suis lieutenant
Au fort de Belonzio qui domine la plaine
D´où l´ennemi viendra qui me fera héros

dit la chanson Zangra de Jacques Brel.

Mais ce système de protection, cette attitude de vigilance permanente est aussi ce qui nous empêche de vivre, car dès que nous sommes dans une situation d’incertitude ce système défensif se met en place. Nous nous contractons physiquement, développons des hormones de stress, prêt à nous défendre. Mais dans la plupart des situations que nous vivons, il n’y a pas d’ennemis. Juste des êtres humains qui tentent de vivre eux aussi du mieux qu’ils peuvent. Malheureusement, dès que le système défensif se met en place, on ne voit plus l’autre : il n’y a plus qu’un ennemi potentiel et chaque acte, chaque parole pourra être retourné contre lui. Et plus on réagit ainsi, plus on déclenche bien entendu les réactions négatives de l’autre qui s’est aussi mis sur son poste de défense et qui donc interprète nos réactions de peurs (peurs d’être humilié, agressé ou abusé) comme des attaques. Il va donc réagir agressivement et nous interpréterons alors son comportement comme un acte de guerre : c’est lui, bien évidemment qui est dans son tort, puisque nous ne faisons que nous défendre d’une agression. Et chacun de penser cela, et la guerre de se déclencher, dans la fureur et la violence des mots, voire des gestes. Les démons, ces protecteurs de nos défenses qui nous font croire que le monde nous en veut, ont alors gagnés, et l’Ombre peut se répandre sur la terre… Chaque fois que deux personnes se mettent en colère l’une contre l’autre, Satan, l’accusateur, se frotte les mains. Il a gagné.

Le pire, et on le voit bien, c’est qu’il n’y a pas besoin d’être agressé pour déclencher la guerre : il suffit que l’on croit que l’autre risque de nous agresser, et il suffit d’être dans une situation d’incertitude, et notre monde moderne est plein d’incertitudes, pour que notre système de défense se mette en place. Mais ce faisant, dès que nous sommes tendus, mal dans notre peau, nerveux, nous créons chez les autres une tendance à devenir nerveux et à élever un mur de défense. Et donc plus nous allons mal, plus les autres s’éloignent pour éviter les piquants, plus nous nous sentons mal et nerveux, et plus les interactions avec les autres deviennent belliqueuses.

En plus, il n’y a pas besoin que l’autre nous dise quelque chose de désagréable pour que nous nous sentions mal. Il suffit parfois qu’il ne fasse pas ce que nous attendions. S’il ne se comporte pas selon nos désirs et nos attentes, et notamment les attentes d’être reconnus, soutenus, respectés, adulés, on peut se sentir agressé et donc se mettre en situation de défense, comme s’il nous avait exprimé un dédain particulier. Et la tension de défense se met en place, entraînant la réaction de l’autre, etc… le jeu continue.

Parfois aussi, pour arrêter la guerre, l’un des deux se soumet et inhibe son comportement agressif. Il devient « gentil », se préoccupant totalement de l’autre, mais sans que cela vienne réellement de son désir. Il agit « pour faire plaisir à l’autre », en se « mettant à son service », en s’oubliant soi-même. Il cesse alors de se respecter, se plaçant peu à peu dans une situation de victime ou de petit enfant vis à vis de l’autre. Il ou elle commence à croire des phrases telles que « je suis obligé de faire ça« , « je ne peut faire autrement« , « c’est mon karma« , etc. Et bien entendu l’autre ne reconnaît pas tout ce qui est fait pour lui, à quel point le premier se sacrifie pour le bonheur du second. Et tout cela pour grappiller un peu d’amour, « quelques miettes valent mieux que rien« , rappelle souvent Bénédicte Ann du Café de l’amour. Et la plainte de ne pas être reconnu se joint à celle d’être victime de l’autre, dans une spirale qui engloutit et dévore peu à peu.

On le voit, tout ce que nous reprochons à l’autre, nos projections, nos jugements, nos attentes, nos « besoins » ne sont que le fruit de ce qui se passe dans notre tête. Cela n’a rien à voir avec l’autre. Il n’est pas « comme ci ou comme ça », il n’a pas à répondre à tous nos besoins et toutes nos attentes ni à se conformer à nos désirs. Il n’est surtout pas en train de chercher à nous agresser. Mais c’est ainsi que notre cerveau fonctionne: notre ego-mental préfère préparer la guerre plutôt que d’enlever sa cuirasse et d’aller à la rencontre de l’autre, dans sa fragilité et son abandon à la Vie, pour faire la paix et créer ensemble un espace d’intimité où l’amour peut régner.

Comment sortir de ce cycle infernal ?

Comment se sortir de ce cycle infernal où notre propre nervosité déclenche l’agressivité larvée des autres, qui en retour active notre colère intérieure ou une inhibition-soumission ? Il existe beaucoup de moyens habiles. Indépendamment et de manière complémentaire des psychothérapies qui consistent à aller voir comment nous rejouons aujourd’hui ce qui s’est passé dans notre enfance, le Tantrisme nous propose de prendre pleinement conscience de tout ce qui arrive dans notre vie, et de « voir » ce qui se trame à chaque instant de notre vie, tout en vivant pleinement.

Voici quatre recommandations pour nous aider à prendre conscience de tout ce qui se joue en nous, et nous aider à sortir de relations belliqueuses.

1. Etre témoin de nos actions. Prendre conscience de ce qui se passe et regarder ces mécanismes comme un horloger regarde une horloge ou éthologiste regarde des animaux. En essayant de ne pas se faire prendre, tant que c’est possible dans ces mécanismes. Et quand on est pris dedans, être indulgent vis à vis de soi. Excusons-nous de notre comportement (tout en reconnaissant nos actes et en prenant la responsabilité de ce que nous avons fait, cf. l’autre recommandation) et continuez votre chemin avec de la bienveillance pour vous mêmes. Ce n’est pas votre faute si le cerveau humain est câblé ainsi.

2. Ne pas mettre sur l’autre la responsabilité de notre état psychique, car il n’y a que nous dans cette histoire. Ce n’est pas « c’est sa faute, c’est lui qui m’a provoqué ça », mais « c’est lui qui a fait quelque chose, et je l’ai interprété comme ça ». Ce n’est pas « c’est elle qui a commencé » mais « elle a fait quelque chose que j’ai ressenti comme une agression, mais cela ne signifie pas qu’elle a cherché à m’agresser ». Ce sont des techniques de base de la CNV (Communication Non-Violente) ou de la méthode Gordon qui consiste à distinguer le fait de l’interprétation du fait. C’est la base de l’interaction « cool », de la non agression dans le couple ou dans tout type d’interaction : il ou elle ne m’a rien fait ! Car personne ne peut rien me faire. Ce n’est que moi qui peut réagir à ses propos en me sentant choqué, agressé, envahi, frustré, culpabilisé, humilié ou honteux. L’autre n’a fait que dire quelque chose et c’est moi qui l’ai pris pour moi. Certainement parce que ces propos sont déjà des choses que je me dis en moi et que je ne veux pas accepter. En d’autres termes, c’est une histoire de moi à moi, d’un sentiment que je ressens déjà en moi et que l’autre a déclenché, la plupart du temps involontairement, par ses propos ou son comportement. Ce travail, qui est extrêmement difficile, surtout quand on est activé et que le cerveau limbique ne peut s’empêcher de tout mettre sur l’autre, est à la base de la transition de l’état du moi infantile au moi mature. C’est le passage de la réaction basique quasi-animale de l’enfant (« c’est pas moi c’est l’autre« ) au sujet plein qui prend la responsabilité de sa propre vie (« tout ce qui m’arrive est le fruit de ma propre création, consciemment ou inconsciemment« ). Attention: cette phrase ne peut s’exprimer à la deuxième personne. On ne peut pas dire « Ce qui t’arrive est la conséquence de ton propre comportement« , sauf si l’on est une situation de thérapie ou de coaching. Mais pas dans une relation, car sinon cela revient à une accusation déguisée. C’est à chacun de prendre conscience de cette responsabilité.

3. Ne pas prendre personnellement ce qui nous est dit. C’est exactement ce que dit l’un des accord Toltèques: « ne pas prendre les choses personnellement« . Ce que dit l’autre est juste le reflet de ses propres projections. Ici encore, cela ne signifie pas que vous puissiez dire « cela ne m’appartient pas, ce sont tes propres projections« , car c’est généralement pris comme un envoi de scud et cela vous reviendra dans la figure d’une manière ou d’une autre. Mais c’est beaucoup plus facile à dire qu’à faire, car avant même que notre cortex reçoivent les informations pour les traiter « calmement », le cerveau limbique nous active à l’énoncé de certaines phrases ou de certains comportements. Ce n’est qu’avec des prises de conscience liées à de la méditation, que nous allons pouvoir freiner le cerveau limbique, en cessant de nous identifier à l’ego réactif, et pouvoir observer ce qui se passe à partir du Témoin (ou Self).

4. Se poser les vraies questions : derrière les conflits, derrière les différentes situations activantes que l’on peut avoir, se cachent des peurs et des blessures. Premier temps, il est important de voir quand on est « activé », c’est à dire dès que l’on ressent une tension à l’intérieur de nous liée au déclenchement du système orthosympathique nous préparant à l’action. Et dès que nous sommes « activés », notre capacité de discernement diminue et notre « bas mental », c’est-à-dire le petit vélo qui se met en route automatiquement dans notre tête, prend le pas sur le « haut mental » (higher mind) qui « voit » les choses avec discernement et clarté. En effet, le siège de cette pensée fine, intuitive et claire se situe dans le cortex préfrontal, lequel est inhibé lors d’une phase de stress. De ce fait, non seulement l’activation déclenche notre cerveau reptilien, totalement incapable de répondre à la situation, mais en plus les forces fines et puissantes qui pourraient nous aider sont bloquées par les hormones de stress qui se déclenchent dès qu’on se sent agressé. Pour sortir de cet enfermement où la chimie de notre cerveau nous entraine malgré nous, nous pouvons essayer de garder un peu de lucidité en nous posant les bonnes questions, qui consistent à se détacher de la situation actuelle pour observer notre comportement. Voici quelques unes des bonnes questions que l’on peut se poser dans ce type de situation :

  • De quoi ai-je peur ? Il y a toujours des peurs derrière les colères, les fuites et les inhibitions-soumissions qu’il s’agit d’aller débusquer. Les voir, sans se laisser aller dans ses peurs, peut aider à débrancher le système de survie qui nous met dans cet état d’agressivité ou de soumission.
  • Qu’est ce que je rejoue de mon enfance ? Ce que je vis maintenant n’est souvent pas en rapport au présent. Je me replace dans des schémas de mon enfance, en projetant sur l’autre des choses qui ne lui appartiennent pas. Qui est finalement là en face de moi ? Mon père, ma mère, un autre membre de ma famille? Qui je projette sur l’autre?
  • Est ce que c’est bien cela qu’il (ou elle) m’a dit ? Nous tendons à interpréter les propos de l’autre à l’aune de notre propre histoire et de notre propre vision du monde. Il s’agit d’essayer d’aller voir derrière notre première interprétation pour chercher le sens de ce que l’autre a dit. Une bonne façon d’éviter la mauvaise interprétation consiste à reformuler ce qui a été dit. Si la reformulation correspond, le locuteur se sent compris et entendu. Sinon, cela signifie qu’il y a eu une distorsion des propos. Il s’agit alors de réécouter avec bienveillance en essayant réellement de comprendre ce que l’autre a dit.

5. Ne pas en rajouter et s’éloigner. Lorsque l’activation est là, il est très difficile de rester lucide. Tout en nous a été créé pour réagir rapidement à une situation dangereuse, en diminuant notre intelligence et notre discernement. De ce fait, quand une situation de crise éclate, il est parfois plus judicieux de simplement s’éloigner le temps que l’activation de l’orthosympathique et les hormones de stress redescendent et soient éliminées dans une autre activité si possible avec du mouvement.

La paix est toujours là

La paix et l’amour sont toujours là, présents en nous. Il n’y a pas d’effort pour faire la paix. Il n’y a qu’à baisser nos défenses et nos projections. L’effort consiste à dépasser les résistances, à oser ouvrir les bras, à reconnaître nos erreurs et notamment toutes les projections que nous mettons sur l’autre. Il ou elle n’est pas ce monstre qui nous fait réagir. Il s’agit juste de nous rejoindre dans l’amour, de recréer cet espace d’intimité, sans mots, sans mental et sans jugement, de laisser les corps s’aider mutuellement à se reconnecter, à se ré-harmoniser. Il n’y a rien à faire, si ce n’est à casser le mur de défense, ce système de protection qui nous enferme et nous isole de la vie, pour laisser à nouveau couler les flots de l’amour.