Introduction

Par Jacques Ferber.

Dans ce voyage intense et parfois tumultueux qu’est la vie de couple, les conflits semblent être des épreuves inévitables qui mettent à l’épreuve la solidité du lien qui unit deux personnes. Ces périodes de crise, marquées par des disputes, des reproches et des malentendus, peuvent laisser les partenaires épuisés, démoralisés, et parfois même au bord du gouffre, questionnant la pérennité de leur couple. Mais que se cache-t-il réellement derrière ces crises? Est-ce simplement la fin annoncée de l’amour, ou y a-t-il une lumière d’espoir, une opportunité de renforcer leur lien et de rebâtir sur des bases plus solides?

Prenons l’un de ces couples, comme Laure et Christian par exemple que nous verrons par la suite. Ils se disputent souvent, et pourtant ils s’aiment. C’est même pour cela qu’ils se sont mis ensemble. Ils ont même crus, à l’instar de nombreux couples, que l’amour résoudrait tout, qu’il serait leur sésame et la solution à toutes les difficultés qu’ils pourraient rencontrer. « Si l’on s’aime, ont-ils pensé, l’amour sera plus fort que tout et rien ne pourra s’interposer entre nous ».

Paradoxalement, c’est justement parce qu’il y a de l’amour que les couples traversent souvent une crise au bout de quelques années de vie commune.

Bien sûr que l’amour est nécessaire dans un couple, il est même à la base des couples actuels, mais s’aimer n’est pas suffisant.

Paradoxalement, c’est justement parce qu’il y a de l’amour que les couples traversent souvent une crise au bout de quelques années de vie commune. C’est parce qu’ils se sont follement aimés qu’ils en viennent ensuite à ne plus se supporter. C’est parce qu’il y a un fort sentiment d’attachement que les couples se disputent, parce qu’il y a de la passion qu’il y a des disputes et du ressentiment. Mais c’est aussi l’amour qui est la clé pour surmonter les épreuves et en ressortir plus fort, et ces crises, bien que douloureuses, peuvent alors être des opportunités pour que chacun grandisse et que le couple puisse se redécouvrir et permette évoluer ensemble 1

La phase de lune de miel : la période enchanteresse

La première étape d’une relation amoureuse est la phase romantique, que l’on appelle aussi “lune de miel”, où les deux amoureux roucoulent d’une passion forte, voire dévorante : « Je t’aime et te désire à toute heure du jour et de la nuit ». C’est le moment où « amour » rime avec « toujours » et où tout en l’autre semble parfait. Cette phase, où le quotidien semble teinté de la magie des plus grandes romances telles que celles de Roméo et Juliette ou de Tristan et Yseult, est marquée par une euphorie, chaque minute passée ensemble étant synonyme de pur bonheur.

Cette période se caractérise par une sensation d’unicité et de merveille partagée. Comme l’exprime une femme, très active professionnellement qui est en train de vivre cette phase dans une relation débutante : « À ses côtés, je me sens pleinement femme. Il m’accueille dans toutes mes dimensions : sensuelle, tendre, dynamique. Ensemble, nous partageons tout, et je sens sa présence à mes côtés dans chaque aspect de ma vie. »

En contemplant son amoureux, elle est heureuse et presque étonnée de vivre ces instants où la sexualité rencontre le cœur, où l’émerveillement côtoie l’impulsion charnelle de vouloir prendre et être prise par l’autre, dans un respect mutuel absolu. Et bien sûr, il vit la même chose de son côté. On est ainsi dans l’amour Eros, l’embrasement de l’être (à ce sujet on pourra lire mon article Les 4 visages de l’amour et du désir.

En réalité, durant cette phase, nous sommes simplement submergés par nos hormones, notamment la dopamine et l’ocytocine, qui intensifient l’attraction. Chaque rencontre crée en nous un véritable « shoot » amoureux, nous poussant à rechercher davantage de moments de partage et de connexion aussi bien émotionnels que charnels. Ces hormones fonctionnent comme des drogues incroyables et on compare parfois la rencontre amoureuse à un shoot de cocaïne. Bien que comparables à une dépendance addictive, ces effets hormonaux s’estompent avec le temps, la nouveauté se dissipant peu à peu.

L’amour Eros constitue une énergie incroyable, dont la puissance qui a façonné le monde. Elle a été à la base des plus grandes histoires d’amour et elle demeure l’une des expériences les plus enrichissantes. Cet amour est à la fois une illusion et une merveille : une illusion, car elle modifie notre manière de voir l’autre (l’amour rend aveugle, notamment en court-circuitant certaines zones préfrontales de notre cerveau, comme si nous étions ivre d’amour), et une merveille car cette phase très riche émotionnellement, permet l’approfondissement du lien, et la création d’un attachement durable grâce à l’ocytocine, qui permettra aux couples de traverser des périodes plus difficiles qui ne manqueront pas de se poser ensuite.

Bien que cette Lune de Miel ne soit pas une étape obligatoire pour tous les couples, car certains couples se constituent plus doucement passant de l’amitié à l’amour, nombreux sont ceux qui la vivent, témoignant de son importance dans le développement et le renforcement de la relation amoureuse.

Mais réduire l’amour à une simple réaction hormonale serait simplifier à l’extrême la complexité des sentiments humains, même si la biologie y tient une place essentielle. Au-delà de la chimie du corps, des facteurs psychologiques profonds influencent également l’attraction et l’intensité des émotions ressenties. Qu’est-ce qui rend donc une personne irrésistiblement attirante pour une autre? Pourquoi, dès les premiers instants, certaines personnes nous semblent-elles exceptionnelles, comme si elles incarnaient la perfection même, possédant toutes les qualités imaginables, alors qu’aux yeux des autres, elle peut sembler tout à fait ordinaire?

Ce mystère réside dans le fait qu’il y a quelque chose d’inexplicable et de profondément personnel dans la manière dont nous percevons et sommes attirés par certaines personnes. Ce phénomène dépasse largement le cadre de la simple attirance physique ou de la compatibilité des personnalités. Il touche à nos désirs les plus profonds, à nos aspirations et même à nos besoins psychologiques inconscients. Cette connexion unique crée une alchimie particulière entre deux personnes, les faisant se percevoir mutuellement à travers un prisme embellissant, où les qualités de l’autre sont magnifiées et ses défauts souvent minimisés ou complètement ignorés.

Le Jeu des Projections : Anima et Animus

Selon la psychologie analytique de C.G. Jung, l’explication derrière l’intensité de l’attraction et l’illusion qui caractérisent la phase de lune de miel se trouve dans nos projections plutôt que dans notre partenaire lui-même.

En effet, au début d’une histoire amoureuse, nous ne connaissons rien de l’autre, et naturellement nous y projetons notre image de la femme ou de l’homme idéal, au travers de ce que Jung appelle notre anima et notre animus : l’anima représente la dimension féminine de l’homme, et l’animus, la dimension masculine de la femme. Ces aspects sont envisagés comme les contreparties psychiques de nos instincts animaux, la manière d’entrer en relation avec le monde à partir de nos pulsions et de notre culture. Ils agissent comme des miroirs de notre relation à l’autre (l’anima gère la relation de l’homme à la femme, et inversement pour l’animus). Ils sont aussi une part inconsciente que nous plaçons chez l’autre et que nous recherchons inlassablement, au travers de ce qu’on appelle « la quête du Prince Charmant » pour la femme ou « la quête de l’éternel féminin » chez l’homme.

Selon Jung, bien que notre psyché manifeste des aspects androgynes, elle ne résulte pas d’un simple composé de masculin et féminin qui se mélangerait en nous comme de l’eau chaude et de l’eau froide pour donner de l’eau tiède. Au contraire, elle symbolise l’union intérieure de ces polarités, semblable à la rencontre de deux amants, où chaque individu porte en soi une imago c’est-à-dire une représentation idéale déjà pré-construite de l’autre sexe. Cette imago est projetée sur la personne qui nous attire, engendrant des dynamiques complexes tant au niveau conscient qu’inconscient.

Notre désir, notre passion ne se dirigent pas vers la « vraie » personne, mais plutôt vers l’image intérieure que nous lui projetons.

Les manifestations de l’Anima chez l’homme peuvent ouvrir à l’intuition, à la créativité, à l’empathie, mais aussi induire des sentiments de vulnérabilité, des humeurs vagues, ou des difficultés à prendre des décisions, à manquer de structure et de détermination, à engendrer une certaine mollesse, quand elle agit comme une compensation des peurs du masculin.

Inversement, chez la femme, l’animus incarne la logique, la résolution, la capacité à entreprendre et à gérer simultanément de multiples tâches, ce qui est souvent lié à la notion de charge mentale. Un surinvestissement de cette partie masculine peut conduire à une certaine rigidité, un manque de souplesse et d’empathie, une organisation contrôlante, ainsi qu’à une tendance à adopter des comportements traditionnellement perçus comme masculins.

C’est notre double psychique (Anima ou Animus) qui vient faire écran entre nous et la personne réelle qui est en face de nous. Mais c’est aussi c’est part là qui crée et favorise l’élan initial. Notre désir, notre passion ne se dirigent pas vers la « vraie » personne, mais plutôt vers l’image que nous en projetons.

 


Encadré

👉🏻 Il faut comprendre que la notion d’anima / animus est le corrélat au niveau psychologique de l’instinct animal au niveau biologique. En effet, il y a comme un schéma, un “pattern” pré-établi de la femme idéale, lequel est ensuite modulé par la culture, de ce qui constitue une femme attirante ou un homme attirant.

En psychologie évolutionniste, la beauté est souvent liée à la santé et à la fertilité. Par exemple, les hommes sont principalement attirés par les femmes jeunes et belles (rapport taille-hanches, symétrie des traits, peau lisse) car ce trait est associé à la santé et à la fertilité, et que les femmes sont souvent attirées par des hommes grands, musclés, riches et puissants car ils peuvent mieux protéger et investir dans leurs enfants.

De nombreuses études scientifiques montrent, par exemple, que la beauté chez l’un ou l’autre sexe est liée à la santé (peau lisse, symétrie des traits), à la fertilité (jeunesse, rapport taille hanche chez les femmes) ou à la protection (taille, musculature chez les hommes)2.

Tout cela se reflète, au niveau psychique de l’individu sous la forme d’une projection qui rend l’autre irrésistiblement attirant ou repoussant, ce que l’on exprime par des expressions telles que « Elle est belle, il est charismatique, il me fait peur, etc ». Ce que nous dit ainsi la psychologie évolutionniste qui s’accorde à celle de Jung, c’est que nous sommes mus par des forces invisibles intérieures que nous justifions par la suite, mais que nous sommes totalement inconscients des processus fondamentaux qui sont à l’origine de cette attraction. Il est donc particulièrement difficile de voir notre projection. Nous sommes comme le fumeur qui dit qu’il parcours des kilomètres pour trouver un bureau de tabac en le justifiant parce qu’il avait “envie” de fumer, sans voir qu’il est en fait accroché à quelque chose qui le dépasse, et qui va bien au-delà d’une envie.

Il en est de même des projections, composées d’instincts biologiques, d’imprégnation culturelle et de notre histoire individuelle, qui sont à l’origine de nos élans et de nos mobiles intérieurs, lesquels sont particulièrement difficiles à rendre conscient.


C’est la raison pour laquelle il peut y avoir un coup de foudre, donnant naissance à cette sensation fulgurante de tomber éperdument amoureux ou de croiser le regard d’un Prince Charmant dès la première rencontre. Ce que nous trouvons attirant chez l’autre n’est en fait qu’un reflet de nous-même, rendant l’autre irrésistible à nos yeux 3.

Ces archétypes bien qu’ancrés dans notre biologie évolutive, comme le montre la psychologie évolutionniste cf. L’encadré, sont aussi modelés par des influences sociales (ce qu’on appelle souvent maintenant “les stéréotypes de genre” qui ont évolués avec l’histoire) mais surtout par notre environnement familial. Ce dernier point est celui qui nous intéresse particulièrement ici : notre relation avec nos parents joue un rôle déterminant dans le façonnement de notre personnalité, et par extension, dans notre manière d’entrer en relation amoureuse avec l’autre.

Pour Jung, la relation à la mère conduit à ce qu’il appelle le complexe maternel, englobant toutes les attitudes, émotions et influences psychologiques qui découlent de la relation entre la mère et son enfant. Ce complexe se construit à partir de deux sources : l’inconscient collectif avec ses archétypes universels de la Grande Mère, une figure omniprésente dans les mythologies et représentations culturelles à travers le monde, symbolisant à la fois l’abondance, la fertilité, le nourrissement mais aussi la destruction et la mort. Ce complexe représente aussi l’expérience individuelle du garçon avec sa propre mère, les qualités et défauts perçus chez cette dernière imprégnant durablement l’esprit de l’enfant.

Il se manifeste à travers un spectre d’effets qui varient selon les individus et qui peuvent avoir aussi bien des aspects positifs que négatifs. La mère représente la première figure féminine à laquelle le garçon est confronté. Elle est vue comme toute-puissante, source de vie, de sécurité et de tendresse. Mais elle incarne aussi un pouvoir sur l’enfant dont il va devoir se détacher pour s’affirmer en tant qu’individu.

Un complexe maternel non résolu peut cependant freiner l’épanouissement affectif et sexuel de l’homme, le maintenant dans une dépendance infantile envers la femme perçue comme une figure maternelle substitutive. Il peut également développer une angoisse de la femme, perçue comme castratrice et dévorante, à l’image de la déesse-mère toute-puissante des origines. Sur le plan sexuel, un complexe maternel prédominant peut inhiber le désir, l’homme craignant inconsciemment l’inceste en envisageant la femme désirée comme taboue, ou cherchant des partenaires émotionnellement distantes ou inaccessibles.

Ce complexe joue donc un rôle crucial puisqu’il influence profondément les relations amoureuses et sexuelles de l’adulte. Il colore l’Anima de l’homme, sa composante féminine, guidant son attirance pour les femmes en projetant inconsciemment sur elles des traits caractéristiques de sa mère intériorisée.

Il en est de même du complexe paternel chez la femme. La relation père-fille, dans la présence ou l’absence du père, va influencer psychiquement son développement de femme et jouer un rôle crucial dans la façon dont la fille forme son identité féminine et perçoit les hommes dans sa vie adulte. Une relation positive avec le père, et une attitude soutenante de ce dernier va permettre à la fille de développer une bonne estime de soi et une image positive des hommes, facilitant ainsi des relations amoureuses saines et équilibrées. À l’inverse, une relation conflictuelle, distante ou inexistante peut entraîner des difficultés dans la formation de relations stables, un manque de confiance en soi, ou une recherche inconsciente de figures paternelles substitutives dans les partenaires amoureux, comme je l’ai décrit dans mon article « Tu es belle ma fille et je te reconnais comme femme »

Dans le cadre de son évolution, la fille va aussi être amenée à intégrer ce complexe paternel, ce qui implique souvent de se confronter à et de transcender les images et attentes initiales formées autour de la figure du père. Ce processus va nécessiter de reconnaître et d’intégrer les aspects masculins de sa propre psyché, c’est-à-dire de son animus (j’en ai parlé dans cet article :Tu es belle, ma fille et je te reconnais comme femme.

De ce fait, dans une relation amoureuse, l’homme va naturellement projeter son anima, et la femme son animus, son homme idéal, lesquels sont imprégnés du complexe maternel pour l’homme et du complexe paternel pour la femme. 4

Les projections à l’origine des conflits de couples

Cela pourrait laisser penser que l’homme cherche une image maternelle chez sa partenaire, et réciproquement que la femme voudrait que son compagnon soit un père pour elle. Bien sûr que non. La réalité est plus nuancée. Je vais prendre l’exemple de l’homme et de sa mère, mais on peut dire pratiquement la même chose de la femme et de son père.

En effet, l’influence du complexe maternel ne signifie pas que l’homme soit attiré par des femmes qui ressemblent à sa mère (et vice versa pour la femme), même si cela peut parfois être le cas, mais que l’attirance, et surtout ensuite la relation qui suit la phase de lune de miel, est directement influencée par la mère et la manière dont elle a été “introjectée” à l’intérieur de l’homme. Car ce n’est pas la “vraie” mère qui pose problème, même si cela arrive parfois, mais la mère telle qu’elle a été vécue par le petit garçon dans son enfance.

C’est surtout après la phase de lune de miel, que les complexes parentaux (maternel et paternel) vont prendre beaucoup de place. En effet, au début, nous sommes attirés par l’autre par la simple projection de notre anima/animus, sans qu’il y ait encore beaucoup du complexe parental, mais dès qu’il s’agit d’engagement, la relation à la mère et/ou au père devient prépondérante.

Dans les couples, lorsqu’un ressentiment émerge, ce n’est pas véritablement l’autre qui nous insupporte, mais plutôt nos propres projections sur cette personne.

Lorsque les voiles tombent, la partie la plus projective et la plus illusoire de l’anima/animus tombe, révélant la “vraie” personne qui se trouve derrière cette première projection, et nous croyons souvent que nous voyons, enfin, l’autre tel qu’il est. Mais en fait, ce n’est que la première couche du voile qui est partie, et pas la seconde qui concerne la projection parentale.

Pour certains hommes, l’engagement est difficile car leur complexe maternel trop puissant les empêche de lier une relation sérieuse avec une femme. Le cas d’école est peut être celui de Léonardo Di Caprio qui passe de mannequin en mannequin, toutes ses conquêtes ayant pratiquement le même style, belles, jeunes (moins de 25 ans), grandes, minces et blondes, de parfaites projection d’anima. D’ailleurs e côté “mannequin” montre de manière explicite qu’elles sont des surfaces de projections de beauté parfaite pour une société donnée à un moment de son histoire. Mais bien sûr que derrière leur physique parfait, il y a des femmes qui aiment, rient, pleurent ont des émotions, des désirs et des peurs. En gros ce sont des femmes et pas des potiches, qui veulent vivre quelque chose de particulier, peut être une relation plus profonde, un peu plus de partage, etc. Sauf que Di Caprio ne peut pas s’engager plus, car la femme “réelle” lui fait trop peur, son complexe maternelle étant trop intense. En effet, de nombreux journalistes notent la relation fusionnelle qu’il entretient avec sa mère. Pour le psychanalyste Paul Fuks Leonardo Di Caprio est sous le joug d’une emprise maternelle: “ Elle est toujours présente avec lui, et elle le cannibalise sans que rien ne puisse y mettre un terme. Elle le laisse enchaîner les conquêtes sans lendemain pour garder bien serré le noeud qui les relie. Il recherche toujours le même type de femmes « stéréotypées et interchangeables, ce qui assure à sa mère une garantie de non-engagement et de respect de l’emprise”. En ne s’engageant pas, il reste à la surface, ayant un fort sentiment de puissance vis à vis des femmes, mais il se prive en même temps de la maturité qui viendrait avec la résolution de son complexe maternel.

Le choix du partenaire idéal résulte d’un compromis inconscient, cherchant les traits positifs sans les aspects négatifs. Mais c’est l’ensemble du complexe maternel ou paternel qui finit par être projeté sur l’autre. En effet, le complexe paternel peut jouer un rôle positif au début d’une relation. Comme pour Jeanne qui est tombée amoureuse du directeur de son entreprise. Dans la première phase, tant qu’ils étaient à distance, tout était merveilleux et elle mettait son compagnon sur un piédestal. Sauf qu’ensuite, quand ils sont venus à vivre ensemble, comme son compagnon ne correspondait plus à cette image idéale, elle a projeté tout le complexe paternel négatif sur lui, ce qui a rendu leur relation très tendue.

Le complexe parental (maternel ou paternel) imprègne la relation en venant se superposer à l’anima, pour créer une image projective complexe.

Prenons l’exemple de Christian et Laure. Si les femmes qui attirent Christian pour des liaisons éphémères lui rappellent souvent physiquement sa mère, celles avec qui il envisage une relation durable sont en fait son opposé, comme pour éviter de s’engager avec une figure maternelle perçue comme envahissante et castratrice dans son enfance. C’est une manière pour Christian de ne pas tomber dans le travers de Di Caprio. Toutefois, ce ne sont pas non plus des parfaites opposées à son image maternelle, car ses compagnes présentent des qualités similaires à celles de sa mère, notamment l’extraversion, le dynamisme, l’instinct maternel et la capacité à nouer facilement des relations avec les autres.

De ce fait, même si Christian croyait faire des choix basés sur des préférences personnelles, il s’est rendu compte que ses préférences le guidait naturellement, pour des relations de longue durée, vers des femmes qui avaient des caractéristiques positives semblables à sa mère.

Mais les complexes parentaux ont deux faces, comme toutes les figures dans la psychologie de Jung : une face lumineuse, celle qui entraine des sentiments positifs d’amour, de reconnaissance et de soutien, et une face sombre, faite de tyrannie, de désamour et de non reconnaissance. Et notre choix de partenaire idéal résulte d’un compromis inconscient où l’on cherche les traits positifs sans les aspects négatifs. Mais au final, comme on va le voir, c’est quand même tout le complexe maternel ou paternel qui sera projeté sur l’autre.

La phase de chute ou comment les projections produisent des conflits de couples

Après la lune de miel, et après quelques temps de vie commune, les illusions tombent et les projections idéales diminuent. Comme le dit Florence Foresty dans son sketch (”La femme douée en amour”), la femme est agacée par les traits mêmes qu’elle adorait au début de la phase romantique, quelques mois auparavant. Elle passe, comme elle dit, de la phase de « craquage » où tout lui apparaissait beau, à la phase de « saoulage » où tout l’énerve, en prenant l’exemple du guitariste particulièrement attirant au début en raison de son aura, mais dont elle ne supporte plus la musique au bout de quelques mois.

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Au début, ce sont les anima et animus associés aux complexes parental positif – ce qui est positif aux yeux de l’enfant – qui va agir. Ainsi, pour la femme, c’est à partir de l’expérience de son père et des archétypes du masculin (le Roi, le Guerrier, l’Amant, le Mage, Le Sage, etc.) qu’elle va à la rencontre de l’homme. Et bien sûr, il en est de même pour l’homme qui va être attiré d’abord par les archétypes du féminin (notamment l’amante sous la forme de Vénus/Aphrodite, Eve ou Lilith, etc.) et les aspects positifs de son complexe maternel 5

C’est ensuite, après quelques mois de vie commune, que les yeux se dessillent et que la partie archétypale idéale (et illusoire) du partenaire s’estompe révélant le complexe maternel ou paternel négatif. Celle qui était perçue comme un déesse devient peu à peu, aux yeux de l’homme, oppressante et castratrice, comme si les traits insupportables de sa mère qui apparaissent en filigrane sur sa partenaire. Et le même phénomène a lieu de l’autre côté, l’homme perdant son aura de prince ou de roi charismatique qu’il était aux yeux de sa compagne, prenant plutôt les traits de son père dans ses aspects négatifs. C’est le moment fatal où, comme le disait Nougaro dans sa chanson, « le vilain mari tue le prince charmant »

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C’est ainsi qu’au début Christian, outre le fait qu’il était fasciné par la beauté et le charme de Laure, appréciait la façon dont elle prenait soin de lui. Mais au fil du temps, ses attentions, ses demandes, son désir de tout connaître sur lui et ses interrogations incessantes, lui sont devenues de plus en plus insupportables. Le comportement de Laure n’avait pas changé mais la perception de Christian s’est peu à peu modifiée, son sentiment d’envahissement grandissant. Il y avait de plus en plus de similitudes entre sa relation et ce qu’il avait vécu avec sa mère dans son enfance. Cette dernière, très aimante, l’avait beaucoup contraint et interdit de vivre certaines choses, comme celles de sortir pour aller jouer dehors avec ses amis lorsqu’il était en primaire, et il avait l’impression que Laure faisait de même, le contraignant et l’empêchant de vivre ce qu’il désirait. Comme avec sa mère, il ne se sentait plus libre.

En discutant avec Laure, il se rendit compte que ce n’était pas le cas, mais malgré tout, comme Laure n’était pas très cohérente dans ses demandes, il avait toujours l’impression qu’elle le réduisait dans sa puissance et dans ce qu’il « avait le droit » de faire. Il ne réagissait pas à Laure, mais à sa mère qu’il projetait sur elle. Tout cela inconsciemment bien sûr.

De son côté, Laure a été attirée par le charisme de Christian, mais elle remarqua rapidement des ressemblances troublantes avec son père. Tous deux étaient professeurs, assez solitaires, simples dans la vie, cherchant à comprendre le monde et dotés d’une certaine bonhommie.

Cependant, durant son enfance, Laure n’avait pas été véritablement écoutée ni prise en compte par son père. Elle aurait voulu qu’il lui prête plus d’attention, qu’il s’intéresse plus à ses pensées et à ce qu’elle vivait, mais il balayait tout ce qu’elle disait d’un revers de main, ne portant attention qu’aux faits et tenant souvent des propos quelques peu stéréotypés sur le monde.

à chaque interaction, chacun revit inconsciemment le traumatisme émotionnel de son enfance, créant un cercle vicieux de mésentente et d’irritation

Par conséquent, lorsque Christian commençait à parler de ses propres théories, même si elles étaient plus profondes et mieux fondées que celles de son père, Laure était irritée. Elle projetait inconsciemment son complexe paternel sur Christian, ressentant la même insatisfaction qu’avec son père. Pour elle, toute théorie générale ou qui ne s’inspire pas du vécu était difficile à tolérer. Elle avait également l’impression que Christian ne l’écoutait pas véritablement, lui coupant souvent la parole en prétextant rétablir des faits. Mais pour elle, il ramenait simplement le sujet à lui-même, ce qui lui prouvait bien qu’il n’était pas intéressé par ce qu’elle disait. Chacun vivait ainsi dans son monde, ne voyant pas celui de l’autre, embrumés qu’ils sont tous les deux par les lunettes de la projection parentale. Ainsi, dans les couples, très souvent, lorsqu’un ressentiment émerge, ce n’est pas véritablement l’autre qui nous irrite ou nous insupporte, mais plutôt nos propres projections sur cette personne.

Au fil du temps, un véritable cercle vicieux se mit en place entre Laure et Christian. Lorsque Christian parlait de ses théories ou qu’il l’interrompait, Laure était saisie par les souvenirs émotionnels négatifs liés à son père, ce qui lui procurait une sensation de frustration et d’invalidation. Elle se sentait pas entendue, pas comprise, pas prise en compte. En réaction, elle s’énervait, éveillant en retour chez Christian des sentiments d’enfermement et d’étouffement, lui rappelant ce qu’il avait vécu avec sa mère.

Ainsi, à chaque interaction, chacun revit inconsciemment le traumatisme émotionnel de son enfance, créant une spirale de mésentente et de distance qui s’est progressivement installée au sein de leur relation.

En effet, lorsque le cercle vicieux se déclenche, Laure et Christian cessent de voir en l’autre un compagnon de vie pour y voir plutôt une figure autoritaire et menaçante, semblable à celle de leurs parents durant leur enfance. Eux mêmes, du fait des blessures qui sont ravivées : ils ne sont plus des adultes, mais des enfants de cinq ou six ans cherchant à affirmer leur existence. Laure se transforme en « Laurinette » et Christian en « Christounet », chacun s’efforçant désespérément de se faire entendre par l’autre, comme ils auraient aimé être écoutés, reconnus et aimés par leurs parents respectifs.

Cette régression amplifie la projection : pour chacun, ce n’est plus son partenaire qui se tient devant lui, mais plutôt le parent, perçu comme gigantesque par un petit enfant. Afin de se faire entendre, la femme, redevenue petite fille, doit déployer beaucoup d’énergie et donc de colère pour atteindre ce père projeté, et il en va de même pour l’homme.

Et naturellement, tout cela se produit de manière inconsciente par les protagonistes, lesquelsi ne perçoivent ni leur projection ni leur régression, bien que celles-ci soient évidentes pour leur entourage.

De ce fait, plus l’un parle, plus l’autre se sent blessé et réplique avec encore plus de vigueur, engendrant une escalade de mots durs et blessants. Chacun reste avec son amertume et son ressentiment de n’avoir toujours pas été entendu et juge le comportement de l’autre sans réaliser à quel point il ou elle contribue autant à cette situation par le biais de la projection parentale.

Tout ce qui a été écrit pour Laure et Christian est applicable à presque tous les couples. Cette escalade, souvent inconsciente, mène à la rupture. Le sentiment de ne pas être valorisé peut se transformer en haine et en conflit ouvert. C’est généralement le moment où les couples se déchirent avant de se séparer. Pour ceux qui cherchent à éviter le conflit, la tension peut devenir si intense qu’ils minimisent et se résignent, se contentant d’une existence monotone qu’ils noient dans la routine du quotidien. Ils peuvent soit développer du ressentiment envers leur partenaire, ou se muer en simples “colocs”, partageant une vie ensemble qui a perdu une grande partie de son sel.

La phase de réascension

Mais il est possible de sortir de ce cercle vicieux si chacun désire réellement aller au-delà de cette projection parentale, à partir de techniques qui mettent en oeuvre la conscience – voir qu’il s’agit de projection et de réactivation de schémas souffrants de l’enfance – et le coeur, en recréant le lien d’amour fondamental qui a donné lieu, au départ, à la création du couple.

C’est ce processus de « réascension » de sortie du gouffre, que nous explorerons dans un autre article.

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  1. Note: Ce qui est dit ici sera dans le cadre d’un couple hétérosexuel, mais le fonctionnement est relativement semblable pour les couples homosexuels.
  2. David Geary, Male, Female: The Evolution of Human Sex Differences, 2020, American Psychological Association. Le livre existe aussi en français, mais avec une édition plus ancienne. Il existe beaucoup d’autres ouvrages, mais celle-là fait référence dans la littérature.
  3. C’est un peu différent pour les couples homosexuels, car l’Eros, la partie désirante, n’est pas uniquement investie sur l’anima ou l’animus, mais aussi par d’autres archétypes, tel que celui des jumeaux (représenté symboliquement par la constellation des Gémeaux). Jung n’a malheureusement pas exploré l’homosexualité qui n’était pas encore très bien étudiée à son époque. Cela fait partie d’études en cours. J’en resterai donc aux couples hétérosexuels. Néanmoins, le phénomène de la projection parentale, que nous verrons plus loin dans cet article, est aussi valable pour les couples homosexuels.
  4. L’article simplifie ce qui se joue entre l’homme et la femme, mais il est clair que la figure paternelle (le complexe paternel) joue un rôle extrêmement important dans la construction du garçon, et dans le comportement qu’il va avoir dans son couple, comme il en est de même de la figure maternelle pour la fille.
  5. il faudrait détailler ici, mais cela sortirait du cadre de cet article, que l’animus et l’anima évoluent avec le temps et la maturation de l’individu. De ce fait, les archétypes présents lors de la projection amoureuse évoluent aussi.

 

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