Par Jacques Ferber.

Puisque c’est l’été et qu’on se trouve souvent dans de beaux lieux pour les vacances, je vous propose une pratique méditative que j’affectionne particulièrement et qui consiste à méditer en contemplant des lieux ou des choses.

Si vous avez la chance d’avoir un beau paysage devant vous, installez vous confortablement. Pas besoin d’être en position de type « lotus » ou « tailleur »… Il suffit simplement d’être le dos droit pour rester vif quand les pensées s’évanouissent et pour laisser passer l’énergie dans votre corps.

Puis vous regardez le paysage en laissant votre regard le plus large possible, mais sans forcer. Et décontractez tout votre corps en relâchant tout particulièrement les muscles de la nuque et du crâne… Vous laissez venir en vous le paysage, en vous ouvrant à l’espace présent. Des pensées vont venir bien sûr, car le mental ne cesse de fonctionner et de produire de nouvelles pensées. Il s’agit alors de ne pas donner prises à ces pensées, de les laisser aller dans cet espace de conscience sans s’attacher à ces pensées, sans les saisir ou plus exactement sans se laisser « fasciner » par elles, sans partir avec elles. Pour cela, chaque fois que vous « partez » avec vos pensées revenez au paysage et à vos propres sensations corporelles… Il ne s’agit pas d’arrêter les pensées, mais de faire l’expérience de l’état originel de notre esprit qui se situe à la fois en deçà et au delà du mental. De « voir » le ciel bleu de cette pure conscience qui se situe derrière les nuages des pensées. Au début, on ne voit que les nuages, mais soudain, entre deux pensées, une trouée se fait, et on ressent la paix, la clarté et le calme du ciel bleu. Il s’agit ensuite tout simplement d’augmenter la trouée, en laissant les pensées passer devant soi, comme on laisse les nuages passer devant le soleil, mais sans s’y attacher.

Vous avez peut être eu un jour l’impression qu’il y avait « quelque chose » derrière tout cela, et que ce que vous viviez était comme voilé, vous sentant séparé du monde « réel ». C’est une impression qui m’habite depuis mon enfance. Cette idée bizarre que la Vérité est à un doigt de moi, mais que je n’arrive pas à la voir telle qu’elle est. Il m’a fallu toute une vie pour comprendre que c’était moi qui la voilait avec ces pensées et ce mental qui créait la séparation. En effet, lorsque les pensées s’arrêtent ou diminuent, lorsque le ciel bleu de l’esprit apparait, le voile disparaît et la nature surgit dans sa Vérité profonde, dans ce qu’elle avant toutes les projections. Il n’y a plus d’arbres, d’herbe, de mer, mais simplement Cela qui est là devant moi.

Je pose souvent une question, que j’utilise comme un koan ou un mantra, lorsque je sens que je suis plus dans l’ici et le maintenant. Et cette question est Qu’est ce qui est réel? Qu’est ce qui est vrai ? Est ce que cet objet est bien l’objet réel ? En général, dès qu’il y a des pensées, il y a comme une brume autour de l’objet ou du paysage que l’on contemple. Vous avez certainement fait souvent cette expérience lorsque devant vos yeux surgit un superbe paysage. Dans un premier temps, impressionné et fasciné par la beauté et le calme du lieu, vous êtes juste présent et le merveilleux de ce qui est là vous plonge dans le ravissement. Mais tout d’un coup, vous vous dites « que c’est beau! ». Et en une seconde, le merveilleux disparaît. Ce paysage n’est plus dans sa « vérité » car une pensée est venue mettre un voile entre vous et ce que vous regardiez.

Le principe de la méditation contemplative tente de retrouver cet état naturel de ravissement, cette béatitude simple qui survient chaque fois que les pensées ont pratiquement disparues. En se posant cette question Qu’est ce qui est vrai ? ou Qu’est ce qui est réel ?, vous ne mettez plus qu’une pensée dans votre esprit, éliminant toutes les autres pensées… Et quand les autres pensées ne sont plus, vous laissez aussi tomber cette question et le calme et la paix peuvent émerger. Il n’y a alors plus que l’espace infini de la conscience, dans laquelle vivent les sensations, les objets, les pensées restantes, les émotions, etc., comme si le monde entier était à l’intérieur de nous sans en être pour autant affecté. Notre existence est devenue une partie de cet univers qui, en retour, réside à l’intérieur de nous… Nous nous dissolvons doucement dans cet espace. Quand le mental n’est plus, le « moi » n’est plus non plus. C’est l’unité dans la plénitude de l’être, existence, pure conscience et félicité/amour (Sat Chit Ananda).

Quand notre mental est pratiquement arrêté, qu’il ne fonctionne plus que légèrement dans le background (en arrière plan), tout semble figé dans un instant présent éternel, comme s’il s’agissait d’un tableau. Si vous regardez un paysage, cela ressemble à un paysage Zen, si vous regardez des objets sur une table, on dirait un tableau de nature morte. Cela semble figé, et en même temps très vif, rayonnant. Surtout il en ressort une impression de perfection. Tout est à sa place exactement comme cela doit être. Il n’y a rien à changer, tout est parfait ainsi…

Cette méditation contemplative est une pratique spirituelle. Au début, vous l’effectuez devant un beau paysage car c’est plus facile de contempler la beauté, mais ensuite, au fur et à mesure de votre pratique, je vous invite à contempler n’importe quoi, des verres disposés sur une table, votre chambre quel qu’en soit le désordre, votre salle de bain quand vous vous baignez. Par exemple, en écrivant ces lignes, je me suis arrêté et j’ai contemplé l’écran et mes mains sur le clavier. Et je me suis dissous dans cet instant présent, dans cette contemplation de ce qui est. Et au moment où j’ai recommencé à taper, j’ai eu l’impression que ces doigts (« mes » doigts) étaient animés de leur vie propre et que tout s’écrivait tout seul, les mots venant dans cet espace de conscience et les mains se mettant automatiquement à l’ouvrage. Dans cet état, il n’y a plus réellement de « moi », et de ce fait, il n’y a plus qu’une observation de ce qui se passe tout seul. Vous pouvez en faire de même en lisant ces lignes. Arrêtez vous de lire et contemplez ce qui se trouve là, devant vous. Voyez ce qui vous environne, l’écran de l’ordinateur ou la tablette, vos mains, votre corps, la table, la chaise… Arrêtez tout, regardez cela.. Ce qui regarde est Vous, ce pur sujet que l’on appelle le Soi ou le Témoin dans lequel « votre » corps est juste un corps qui apparait dans cet espace de Conscience. Et les pensées aussi apparaissent dans cet espace sans que vous les créiez. Elles surviennent d’elles-mêmes, sans que vous ayez rien à faire, de même que vous respirez et que votre coeur bat sans votre intervention… Ce qui observe est ce qui est déjà éveillé en vous, c’est la nature de Bouddha, le christ intérieur. Ce qui observe est ce Je Suis qui est pure présence consciente et qui ne change pas, n’est jamais altéré par aucune expérience. Clarté immobile de conscience.

C’est cela contempler : réaliser Ce qui regarde, sans s’attacher à l’objet, en laissant passer les pensées et les émotions, en arrêtant de donner de l’importance à ce qui passe dans notre tête, en cessant de croire à nos croyances, et en laissant le calme, la paix et l’amour s’installer tranquillement une fois que l’espace est un peu plus dégagé de ce « moi » qui prend toute la place.

Tous les chercheurs spirituels cherchent à ce que nous rencontrions ce pur sujet en voulant obtenir un état particulier, alors qu’il ne s’agit pas d’un état mais simplement d’une « reconnaissance » que cet être éveillé que nous sommes a toujours été là. Mais comme ce n’est pas un objet, il ne peut être appréhendé par le mental et on ne peut pas le montrer. Et tous les moyens habiles que nous proposent ces spiritualités (notamment le bouddhisme et les différentes formes de méditations hindoues), tentent simplement de nous aider à « voir » ce qui a toujours été là, toute notre vie, à rencontrer cette pure conscience (conscience sans objet), pur amour (amour sans objet) et pure extase (extase sans objet) qui est notre nature profonde.