Par Jacques Ferber.

Parfois on associe au yang le caractère « actif » et donc, par voie de symétrie, on associe au yin l’aspect « passif ». En fait, la passivité n’est pas du tout l’essence du yin. L’essence du yin, c’est l’accueil. Pour la femme, c’est d’abord vécu de manière intime comme l’accueil de l’homme en soi. Mais cela va encore au-delà : le yin c’est la transformation par le vide, c’est l’abandon qui crée le mouvement du yang. Je vais essayer de me faire comprendre. Quand vous accueillez quelqu’un chez vous, vous ouvrez la porte, vous vous effacez et la personne entre. Mais ce que vous faites, ce n’est pas seulement ouvrir la porte, c’est créer un espace que le yang, la personne qui entre, va pénétrer. En effet, votre invité qui se trouve devant votre porte n’est pas en train de pousser comme un fou en attendant qu’on lui ouvre (ou alors c’est une autre situation et ne l’invitez plus 🙂 ). C’est quelqu’un qui vient, qui fait une demande et qui est là, présent, et qui se trouve devant quelque chose de fermé. Quand vous lui ouvrez, vous créez un vide, une forme en creux, c’est à dire un espace, qui crée une forme d’aspiration. C’est ce qu’on appelle dans certains milieux scientifiques (les systèmes complexes notamment), un champ attractif. Et si vous avez un peu étudié le Fen Shui, vous savez qu’une maison est comme un corps, comprenant des systèmes de circulation et des organes qui reçoivent cette circulation d’énergie, ce ki. Lorsque vous ouvrez la porte vous créez ce flux d’énergie qui attire irrésistiblement la personne à l’intérieur (pour ne pas entrer, lorsque quelqu’un vous accueille, il faut y mettre de l’énergie et résister à cette attraction). En fait l’accueil, ici le yin, conduit le yang vers le lieu de la rencontre.

On retrouve ce phénomène dans l’Aïkido, où l’attaqué crée un espace dans lequel l’attaquant met toute son énergie, ce qui le fait chuter. Un bon pratiquant d’Aïkido va utiliser l’énergie trop yang de l’attaquant pour la canaliser vers un endroit où ce trop plein d’énergie ne peut plus nuire à personne (ni même à l’attaquant). Toute la qualité du pratiquant c’est justement de savoir construire cet espace de manière harmonieuse, en mettant le moins d’énergie possible et en utilisant au mieux l’énergie de l’autre. L’attaquant se sent alors aspiré par cet espace et conduit vers un lieu qui lui est communiqué par ce vide. En d’autres termes, bien qu’étant yang, il est conduit par le yin. Un peu comme dans l’haptonomie où un toucher doux et délicat va permettre à la mère ou au père d’entrer en contact avec le bébé, ce dernier venant se coller là où une légère pression est effectuée. Ici encore, c’est ce toucher yin, très doux, qui attire le bébé vers le contact.

Toutes ces métaphores pour en arriver à cette conclusion qu’il est possible de guider l’autre de manière yin, par l’accueil et la constitution d’un espace de vide léger, dans lequel l’autre est doucement attiré, à condition que l’autre soit yang en Aïkido, il n’y a rien de plus désolant qu’un attaquant qui n’attaque pas. Il n’y a pas de circulation d’énergie et rien ne peut être fait).

Dans le domaine de la relation homme-femme cela a de nombreuses conséquences. La plus importante, et celle que je rappelle toujours dans mes animations, c’est que, dans le tantra, c’est le yin qui dirige, c’est celui qui reçoit qui conduit, par le vide et l’espace qu’il propose. Et bien entendu c’est généralement la femme qui incarne ce yin.

Prenons l’exemple d’un massage tantrique où l’on suppose (pour la simplicité de l’exposé mais on peut inverser la situation et cela fonctionne aussi) que l’homme masse la femme. L’homme est alors yang, puisqu’il donne le massage. Mais la femme peut diriger l’homme en bougeant légèrement, en ondulant, en émettant de petits grognements de plaisirs pour conduire les caresses aux endroits qui lui conviennent le mieux. Elle modifie l’espace et se faisant crée de nouvelles conditions de circulation de l’énergie. Et si l’homme, bien que yang, sait percevoir cela par son corps et ses mains, il va suivre les méandres et sinuosités créées par le corps de cette femme qui ondoie sous ses caresses. Il s’ensuit qu’elle reçoit alors la puissance yang de l’homme, lui-même à l’écoute de sa partenaire, qu’elle va transmuter par son corps en un mouvement qui attire les mains de l’homme. La boucle est alors bouclée : la femme conduit en mode yin, mais en conduisant elle s’harmonise avec son yang à partir d’une base yin, alors que l’homme yang, par l’écoute de ses mains sur le corps de cette femme s’harmonise avec son yin (bon, si vous n’avez pas compris cette phrase relisez là… C’est vraiment difficile pour la raison standard de comprendre ces mécanismes). En d’autres termes, tout en partant chacun de sa propre polarité (l’homme yang, la femme yin) chacun intègre l’autre polarité de manière harmonieuse (l’homme intègre le yin et la femme le yang).

Initialement la femme est yin et l’homme yang. Mais ensuite, par cette circulation d’énergie, chacun intègre, au rythmes des caresses, les deux polarités. On ne vit plus alors cette rencontre comme un massage mais plutôt comme une danse où chacun des deux est pris dans quelque chose qui le dépasse tout en y participant. C’est une métaphore du divin, de la Vie que l’on peut contacter dans un massage, mais aussi bien entendu en pratiquant des formes de danses du ressenti, telles que la Biodanza, la danse sensitive, la danse contact-improvisation, etc.. et d’une manière générale dans toute activité où l’on entre en relation avec l’autre sur un mode yin-yang ouvert.

Qu’est ce que cela signifie dans le rapport amoureux ? Dans une version standard (que j’utilise ici uniquement pour des fins pédagogiques, j’espère que vous ne faites pas l’amour de cette façon 🙂 ), l’homme yang pénètre une femme passive. A ce moment, la femme n’est pas yin, elle est passive (ce qui n’a rien à voir). Elle attend d’être mue par les mouvements de l’homme. Sur le plan de l’excitation, cela peut « fonctionner », mais pas sur celui de l’énergétique. Pour que l’énergie circule, il faut que les deux pôles agissent en fonction de leur polarité. La femme yin, va ainsi créer les conditions pour que l’homme vienne en elle : non pas de manière passive en attendant que cela se passe, non pas de manière yang, en prenant les « choses » en main, ou en demandant à l’homme de faire telle ou telle chose (ou pire en lui disant qu’il devrait être plus homme, mais ça c’est une autre histoire), mais en créant un espace yin énergétique, comme nous l’avons vu plus haut. Il s’agit ainsi de créer une sorte de vide attractif, dans lequel le désir de l’homme va venir se placer. Elle le conduit alors à l’intérieur de sa grotte sacrée en s’abandonnant totalement à l’énergie de l’homme tout en donnant l’impression à l’homme d’être aspiré par elle.

Et c’est là que se produit le « miracle » : bien qu’étant yang par sa puissance, il peut se sentir comme « aspiré » par l’attraction que crée la femme. Il peut avoir l’impression qu’elle lit à l’intérieur de sa tête, qu’elle précède ses propres désirs. Elle fait « comme si » elle devenait un objet de désir pour l’homme, appelant de manière subtile l’homme, plongeant dans sa vulnérabilité pour que l’homme devienne puissant et pénétrant. Et dans cette alliance particulière, c’est elle qui, tout en recevant l’énergie de l’homme, le conduit dans le chemin, mais sans diriger, en s’abandonnant à sa nature profondément féminine. Elle peut devenir animale, feulant comme une lionne en chaleur, appelant l’homme de ses caresses, ou végétale comme une liane qui entoure le tronc de la puissance virile de l’homme. Elle peut devenir grande prêtresse, prostituée sacrée, vierge et démone tout à la fois, parcourant naturellement les aspects du féminin.

Étonnamment, par le champ attractif qu’elle crée, c’est à dire par l’espace relativement vide qui l’habite à ce moment là, elle va permettre à l’homme de s’abandonner lui aussi à sa propre polarité, d’être sûr de sa puissance avec elle, et ainsi d’ouvrir son cœur en créant un lien affectif. C’est le yin de la femme qui fait baisser les défenses de l’homme. Dans son abandon, elle crée les conditions pour que l’homme s’abandonne aussi, tout en restant yang. Chacun alors harmonise son yang et son yin. Pour la femme, par cet abandon, alors qu’elle est nourrie énergétiquement par son partenaire, elle peut atteindre des espaces spirituels d’union mystique, de dissolution du moi, d’impression de ne faire qu’un avec l’univers. Elle permet aussi à l’homme d’entrer dans ces espaces, comme s’il était conduit par la femme. J’ai une image qui correspond à cette relation : tout se passe comme si l’homme et la femme étaient deux plongeurs qui avançaient dans les profondeurs de l’océan. C’est l’homme qui a les palmes et qui donne l’énergie (yang), mais c’est la femme qui tient l’homme par la main pour le conduire, à sa manière, à la source de l’Etre.

A ce moment-là, même les notions de yang et de yin sont dépassées : les deux partenaires sortant de leur polarités initiales et des conditionnements pour vivre l’Union hors du temps et de l’espace. Il peut y avoir des phases extrêmement énergiques suivies de phases immobiles, en contact seulement avec le souffle et le regard. Qu’importe, à partir d’un certain moment, l’amant et l’amante disparaissent. Il n’y a plus que l’amour et cette énergie qui circule dans ce nouvel organisme composite façonné par le désir et la relation au divin. C’est la voie d’Eros. Aucun besoin d’être spirituel ou mystique, de croire en Dieu ou non ! L’Union Mystique est vécue charnellement, dans l’être profond. Si cette union a lieu, cela marque profondément les deux amants. La femme ouvre des portes dans sa grotte sacrée, lui permettant ainsi d’accéder à une sagesse puissante fondée sur le féminin. Pour l’homme, l’ouverture du cœur lui donne un nouvel axe, une nouvelle direction de vie. Il se sent à la fois plus homme et plus en relation avec ce qui l’entoure. C’est comme s’il avait fait l’amour, au travers de cette femme, avec son féminin intérieur (l’anima chez Jung). Il devient tout amour pour elle car sa muse intérieure a fusionné avec cette femme charnelle avec laquelle il s’est uni.

On peut avoir l’impression que c’est la femme qui, bien qu’étant yin, fait tout dans cette union. Non, l’homme est bien entendu tout aussi important. Il s’agit simplement qu’il soit présent à elle, à la fois dans sa puissance et sa fragilité, sans masque, sans cuirasse. Il lui est demandé à lui aussi d’oser être à nu, intérieurement. Sans quoi il ne pourra pas sentir ce champ attractif ténu mais essentiel. Il doit avoir le courage d’affronter ses inhibitions, d’être dans ses couilles et de donner toute sa puissance et son énergie lorsque le moment sera venu. Il doit faire confiance à la vie qui dressera son vajra lorsque cela sera nécessaire, et respirer lentement dès que l’énergie du désir est bien présent, à la fois pour harmoniser son souffle avec sa compagne, mais aussi pour réguler sa tension et éviter de venir trop vite. Il peut se sentir chevalier de cette femme et en même temps conquérant, cerf, lion ou taureau, incarnation fécondante de Shiva. Il s’agit pour lui de rester dans sa puissance et de ne pas chercher à contrôler, de laisser l’énergie guider son corps, en harmonie avec celui de sa partenaire.

On le voit ici, c’est la qualité même de la relation, fondée sur la relation et cette guidance yin, féminine et douce qui va être à l’origine d’une transformation des deux partenaires, afin de créer une Danse de Vie, à deux, pour ne plus faire qu’un.