Par Jacques Ferber.

Qu’est ce qu’une relation tantrique entre homme et femme ? Qu’est ce qui la distingue d’une relation plus “classique” ?

Comme toujours pour les notions avancées, le langage ordinaire n’est pas très précis, et les définitions ne sont pas essentielles car le tantra n’est pas une science, mais un chemin de vie. En gros, il faut le vivre, en faire l’expérience… Néanmoins, essayons. Je pourrais dire que la relation tantrique est une relation de contact intime profond, prenant en compte les dimensions physiques, émotionnelles et spirituelles et qui n’est pas fondée sur des manques ou des peurs. Une fois qu’on a dit cela on n’a rien dit, car chacun pense qu’il entretient des relations tantriques avec ses proches et les personnes qu’il ou elle aime, jusqu’à ce qu’on se rende compte de l’importance, des peurs, des manques et des projections dans notre vie.

En fait, la plupart des relations amoureuses sont mues par nos peurs, nos manques. Nous vivons ainsi l’autre comme celui ou celle qui peut nous apporter le bonheur : “si je fais l’amour avec elle, alors je serais vraiment un mec”, “s’il tombe amoureux de moi alors je serais folle de joie”. Effectivement, pendant un temps, parfois très bref (quelques jours, quelques heures, voire simplement quelques minutes), on vit un bonheur très intense lié à la réalisation de ses désirs, ou plus exactement de ses envies (je reviendrai sur les termes désirs et envie).

Souvent, lorsqu’on dit que l’on cherche l’amour ou à entrer dans une relation avec quelqu’un d’autre, on cherche tout simplement à être aimés, à être désirés, à être l’objet du désir de l’autre pour parler comme les psychanalystes, c’est-à-dire à être sous le regard d’amour de l’autre, pour reconduire cette forme d’amour que nous avons connus lorsque nous étions enfants. S’il (elle) nous aime, alors c’est que nous valons quelque chose. Nous avons peur de nous voir, peur d’entrer en nous et donc nous désirons être rassurés dans notre identité, et surtout d’éviter de voir les béances qui nous habitent.

Les peurs sont légions et sont certainement les moteurs les plus importants de notre psychisme. Mais parmi l’ensemble de ces peurs, certaines reviennent plus souvent que d’autres et sont plus souvent liées à un genre (homme/femme) qu’à un autre.

Les femmes portent en elle une peur ancestrale du viol et de l’abus sexuel sous toutes ses formes. Certaines femmes l’ont vécues personnellement, et il est donc compréhensible que ce traumatisme gênent leur rapport avec les hommes. Mais mêmes celles qui n’ont vécues de telles situations sont soumises à ces peurs car elles transpirent l’humanité et les abus et les violences subies par les femmes depuis des millénaires se sont transmises de génération en génération. Ces peurs ont donc eu leur raison d’être, et souvent les comportements associés aux peurs permettent d’éviter le danger. Mais souvent le danger n’existe plus et les peurs demeurent. De ce fait certaines femmes développent une sorte d’armure et de carapace qui les empêchent d’entrer en contact avec les hommes de manière directe et simple.

Autre peur très courante chez les femmes comme chez les hommes, la peur d’abandon. Nous vivons encore comme lorsque tout petit nous étions si faible et fragile que nous avions besoin des adultes et plus particulièrement de nos parents, pour nous protéger. Peut être que, enfant, nous n’avons pas eu un environnement très sécure, peut être que nos parents n’ont pas eu un comportement très rassurant à notre égard alors que nous étions encore des bébés, peut être aussi que la culture familiale a conduit à retransmettre cette peur sur plusieurs générations. Quoi qu’il en soit, se retrouver seul, et le vivre comme un abandon, est l’une des angoisses les plus puissantes qui nous amènent à rechercher coûte que coûte un partenaire. Ici encore la relation vient combler un manque, vient atténuer nos peurs, éventuellement réparer une blessure.

Pour ces deux raisons, peur de l’agression et peur de l’abandon, nombre de femmes disent qu’elles cherchent des hommes “sérieux”, ce qui signifie pour elles, ce qui revient souvent à “des hommes qui s’engagent dans une relation”, des hommes dont elles puissent être sûres, à la fois protecteur, tendre et qui ne regardent pas les autres femmes. En d’autres termes, ces peurs engendrent un désir de sécurité, et l’homme devient celui qui rassure, qui protège. Au lieu que ce soit la femme elle-même qui prenne en charge, pour elle-même, ce besoin légitime de sécurité, en dépassant ces peurs et en prenant confiance dans ses propres possibilités de protections, elle projette sur l’homme ce besoin. Ce dernier devient alors le porteur d’une mission : “protéger la femme”, protection dont il s’acquitte d’ailleurs souvent assez bien car cela entre dans l’une des facettes du masculin. Mais si cette demande devient trop forte, il ne peut plus s’en acquitter, ce qui met la femme en colère contre les hommes qui “ne sont pas sérieux” qui ne “veulent pas s’engager”. Allez sur Meetic ou sur n’importe quel site de rencontre et regardez les fiches de présentation des femmes. Près de la moitié recherchent de tels hommes. De ce fait, lorsque l’un de ces hommes regardent une autre femme, ils sont immédiatement jugés pour leur faiblesse d’engagement et pour leur “côté immature” (le “côté immature”, c’est aussi l’une des grandes critiques que les femmes font aux hommes, parfois à juste titre, mais souvent pour masquer leurs propres difficultés), alors que cela correspond en fait pour la femme à une peur: peur d’être quittée, d’être abandonnée, de ne plus être protégée..

Chez l’homme les peurs sont différentes. Elles portent moins sur un besoin de protection que sur un besoin de valorisation. L’homme a peur de “ne pas être à la hauteur”. Il porte cela depuis sa petite enfance, car le masculin tend toujours à se comparer, à entrer en compétition sur n’importe quel sujet, aussi dérisoire soit-il, comme savoir qui pisse le plus loin. Ce comportement de comparaison, de mise à l’épreuve vis à vis du monde, mais aussi vis à vis des autres fait partie de la construction psychique de l’homme. Nous nous construisons naturellement dans cette comparaison compétitive. C’est “qui a la plus grosse moto”, “qui a fait le solo de guitare le plus époustouflant”, et évidemment, “qui a la plus grosse bitte”… Dans le cadre de son travail aussi l’homme doit assurer, montrer qu’il est performant, qu’il est fort, qu’il domine la situation…

Ce mode de fonctionnement a ses revers, surtout lorsqu’à la puberté, ou dans la vie de jeune adulte, l’homme pense qu’il “doit assurer”. Le rencontres sexuelles prennent parfois la forme d’épreuves où l’homme se doit de montrer combien il est viril, combien il est performant. Le “alors heureuse ?” du macho, c’est aussi un moyen de se rassurer sur sa propre virilité. Dans ce contexte, les pannes d’érection ou les éjaculations précoces touchent l’homme au plus profond de son identité de mâle. Donc il cherche naturellement à être rassuré. Avec ses copains, où le fait de se sentir avec d’autres hommes avec lesquels il y a un peu moins de compétition ou de mise à l’épreuve, lui donne l’impression de faire une pause, ou avec les femmes en essayant que le rapport sexuel ne se transforme pas en fiasco. L’homme, s’il n’est pas un pur macho, cherche néanmoins à contrôler la situation, en cherchant les bons “boutons” qui vont faire jouir la femme. Il cherche ainsi à être le meilleur, entre le sportif du sexe, qui voit le lit comme l’arène des olympiades sexuelles, et le technicien qui a appris dans un manuel toutes les caresses qui vont se faire pâmer la belle. Il va alors chercher dans le sexe un moyen de se valoriser et de combler ses difficultés identitaires.

On voit alors que se joue un jeu complexe entre l’homme et la femme : “je te valorise et te promet d’être fidèle si tu me sécurises” dit la femme et “je te protège et te promet d’être fidèle si tu me valorises” dit l’homme, les deux disant “ne m’abandonne pas”, voire “je ne suis rien sans toi, si tu me quittes je meurs”. On appelle cela la passion, mais le Tantra considère cela comme une forme d’immaturité relationnelle qui conduit naturellement au malheur (les passions sont éphémères et pleines de souffrances), en vivant dans ce que le Bouddhisme appelle le samsara, c’est-à-dire le lieu de toutes nos petites actions où chacun cherche à gagner un peu de l’autre pour vivre, mais ces petits gains se transforment finalement en une vie de frustration et de souffrance. C’est la tragédie de l’humanité depuis des millénaires.

En d’autres termes, le Tantra nous demande de nous inscrire relationnellement dans le mouvement évolutif, de quitter notre système archaïque de mode de relation à l’autre. Et c’est cela qui est en fait le plus difficile dans le Tantra et pourquoi seuls des personnes “avancées” sur le plan psychiques (c’est-à-dire qui ont suffisamment travaillées sur elles pour voir le mouvement de l’ego, des projections et des demandes envers l’autre) peuvent entrer dans de telles relations. Ce n’est pas une vision “élitiste”, qui tendrait à croire que seuls certains sont capables de cela, mais simplement de constater que si, naturellement, très peu ont les qualités psychiques et émotionnelles pour parvenir à une telle relation, il est possible de travailler sur soi (avec des stages, des thérapeutes, des animateurs de Tantra) et que, si on est honnête avec soi-même (c’est peut être malheureusement ce qui manque le plus…), il est possible de se libérer de nos déterminismes bio-psycho-sociaux, sans les renier et en s’appuyant dessus, et d’entrer dans une relation vraie avec l’autre.