Par Jacques Ferber

il suffit d’écouter parler les hommes entre eux pour découvrir très vite que, en dehors du pouvoir, il n’y a qu’une seule chose qui compte pour eux – et c’est le sexe. Pourquoi ? Parce que, de ce sexe, ils ne sont réellement jamais sûrs. Du moins de pouvoir en user. En fait, les hommes vivent toujours dans une terreur inavouée : « Est-ce que je vais pouvoir assurer ? » C’est pour eux une question obsessionnelle. Qui entraîne le fantasme que, s’ils ne peuvent pas « assurer », ils vont décevoir leur partenaire.

Dans cette interview à Nouvelles Clés (un magazine malheureusement maintenant disparu), Michel Cazenave résumait en quelques mots la problématique de l’homme vis à vis de son sexe, une fois qu’il a un tant soit peu de conscience.

Les peurs de l’homme

La peur de l’homme envers la femme s’exprime inconsciemment dans tout un ensemble de peurs : la peur de ne pas être à la hauteur, de ne pas bander ou d’éjaculer prématurément, et donc de ne pas satisfaire les désirs de la femme, mais aussi la peur d’être englouti, d’être retenu prisonnier, d’être dépendant.

Il faut comprendre que dans le psychisme de l’homme, son premier objet d’amour et de désir a été sa mère, celle qui l’a enfanté, avec laquelle il était un. Par la suite, il a dû se différencier de cette mère toute puissante, de cette matrice qui lui a donné la vie, mais qui est aussi celle dont il doit s’extraire. Et la relation envers la femme est à la fois favorisée et phagocytée par l’empreinte de la mère. Et il ne s’agit pas uniquement de notre mère, mais de toutes les mères depuis que le monde est monde, de cette relation fondamentale à la Mère, dispensatrice et dévoreuse de vie que nous avons tous vécus en tant qu’être humain. La neurobiologie montre que ce sont les mêmes circuits et les mêmes neurotransmetteurs (notamment l’ocytocine) qui sont à l’origine de l’attachement envers ses parents et ses enfants et envers son compagnon ou sa compagne. Cela signifie que, pour l’homme, tout ce qui relève de l’attachement, de l’attirance, du désir, réactualise involontairement les schémas d’amour fusionnel qu’il a pu avoir avec sa mère. Ces schémas ne sont donc pas liés uniquement à la personne physique dont il est issu, car ils correspondent à des programmes biologiques préétablis qui forment une trame sur laquelle notre relation envers notre mère a été rendu possible.

Pour l’homme, il s’agit donc à la fois prendre conscience de ce qui s’est passé avec sa mère, biologique et sociale, mais aussi d’intégrer l’aspect mythique et symbolique du rapport que chaque homme entretient avec la Mère, dispensatrice de vie, nourricière, soignante, mais aussi castratrice et enfermante. […]

Et pour sortir de cette toute puissance maternelle, l’homme utilise naturellement son épée, en réalité son sexe, comme le montre les films d’action (et notamment d’heroic fantasy). Je pense notamment à un des héros les plus caractéristique de ce style, Conan le Barbare, héros super-viril, qui combat avec sa grosse queue épée 😊, de « terribles » sorcières avec qui il entretient un rapport mêlé de peurs et d’attirances. Si vous ne voyez pas là de rapport entre la peur de la femme sauvage et le fantasme du gros pénis, passez votre chemin 😉.

Je bande donc je suis

En effet, le fantasme de ce type de « héros phallique » se manifeste dans une identification de l’homme à son pénis: « je bande donc je suis » pourrait être sa devise. Il tend à se juger à l’aune de l’activité de sa verge. Si elle est souvent dure et en érection, si toutes les femmes se pâment devant elle, alors il existe comme homme. Sinon, il pense qu’il n’est rien. Et la propension des acteurs du porno d’avoir leur sexe toujours en érection est bien représentatif de cette forme de pensée. Ce n’est plus Conan mais Rocco qui devient alors le fantasme des hommes.

Evidemment, la différence entre l’idéal de ce héros hyper-viril et la réalité est forte : comme il n’est pas possible de bander à volonté et de soutenir des érections fermes pendant des heures, et comme on n’a pas tous les muscles de Tarzan ou Schwarzenegger, il y a un risque à s’enfermer dans un mouvement de repli sur soi, d’isolement. Ne se jugeant pas normal (la « normalité » étant jugée en fonction des caractéristiques hyper-viriles) ou pas assez bien constitué, l’homme n’ose alors plus pratiquer de sport ou d’avoir des relations féminines. Il entre alors dans un cercle vicieux : moins il voit de femme, plus il fantasme et plus il ressent des difficultés à rencontrer des femmes. Il ne fait plus que de se masturber 1 en fantasmant, on regardant des films ou photos pornos, en se culpabilisant et en se dévalorisant. C’est la spirale infernale de la dépression, de la dévalorisation de soi.

Inversement, cette angoisse peut aussi plonger l’homme dans le syndrome de Don Juan, en cherchant compulsivement à séduire toutes les femmes qu’il rencontre, afin d’obtenir une représentation positive de sa virilité. Mais la satisfaction de la conquête ne dure pas longtemps, et il doit repartir incessamment vers de nouveaux rivages, chercher encore et toujours à se prouver qu’il est viril, pour combler cette angoisse profonde sur son identité. Dans tous les cas et quel que soit la manière dont il s’exprime, le fantasme d’hyper-virilité mène à une impasse.

L’érection intérieure

Pour dépasser cette angoisse, il n’y a qu’un mot, qu’un seul « accueillir ce qui vient » (laisser son pénis monter et descendre à sa guise, sans honte ni culpabilité), et surtout recontacter la puissance sauvage de l’homme en soi. Contacter le plaisir à être un homme, indépendamment de son sexe, indépendamment du fait de bander ou non. Se sentir « fort » intérieurement, ce qui n’a rien à voir avec la force physique, mais plus à l’alignement psychique intérieur vis à vis de soi et du monde.

Je me souviens d’une image qui est restée dans mon cœur. Lors d’un rituel entre hommes, où nous étions au moins un quarantaine d’hommes à passer une initiation, et tout autant à nous accompagner dans ce chemin, il y avait dans les accompagnateurs, un « ancien » qui devait avoir presque quatre-vingts ans, et qui avait un peu de mal à marcher tant ses gestes étaient raidis par l’arthrite. Mais chaque fois qu’un homme recevait son initiation, il se levait fier et puissant. Il s’érigeait ! Entendez: il bandait de l’intérieur… Sa puissance n’était plus à l’extérieure, dans une projection phallique, mais dans son cœur, dans son être même. J’ai compris d’ailleurs en le voyant comment les anciens dans les tribus pouvaient encore diriger leur peuple alors qu’ils n’en avaient plus totalement les moyens physiques. Leur âme était puissante et fière. Et quand je parle de fierté, je ne parle pas ici d’orgueil, mais de cet alignement intérieur qui nous fait dire que nous faisons partie de la Vie, et qu’aucun être n’a à être humilié par un autre, quel qu’il soit. De même qu’il n’y a aucune vertu à en humilier un autre, car c’est la marque de la faiblesse (les dominateurs sont toujours des apeurés qui cherchent à éviter d’être confronté à leur peur de l’humiliation): le « fort » n’humilie pas le « faible », mais l’aide à se relever. Il met alors sa force et sa puissance au service de l’autre, au service de la Vie.

Hommes, mes frères, nous sommes à la croisée des chemins. Un nouvel âge apparait. Trouvons notre puissance intérieure, pour encore plus ouvrir en amour et nous unir de corps, de cœur et d’âme aux femmes 2, nos soeurs d’âmes. Que le divin masculin épouse le féminin sacré, que Shiva et Shakti3 ne fassent plus qu’un au service de la Vie. Engendrons ensemble, une nouvelle ère de Conscience et d’Amour 4.

Aho, j’ai dit…

Jacques Ferber


  1. Il n’y a aucun jugement contre la masturbation. Mais il s’agit simplement de prendre conscience qu’elle peut devenir névrotique et contre-productive quand elle devient un moyen d’éviter la relation à la vraie femme.
  2. Je ne parle pas ici des homosexuels pas simplification. Mais qu’ils trouvent à l’intérieur d’eux et avec l’autre, cette union du masculin et du féminin. C’est tous ensemble, bien entendu, que nous avons à créer cette ère nouvelle.
  3. Dans le Tantrisme, Shiva représente le principe masculin, et Shakti, le féminin.
  4. Ce texte comprend des extraits du livre de Jacques Ferber, l’Amant Tantrique, Eds. du Souffle d’Or. 2007.