Une voie de transformation personnelle et relationnelle
Par Jacques Ferber
Introduction
L’objectif de ce texte est de montrer que le Tantra n’est pas seulement une pratique individuelle, mais qu’il peut offrir des solutions concrètes à notre monde en crise. Il s’agit, en essence, de redécouvrir la notion de relation dans son sens le plus fondamental et de l’appliquer à tous les aspects de notre vie. Et ce faisant apporter une nouvelle dynamique au monde.
Dans cette première partie, qui a fait l’objet d’une conférence en octobre 2024, auprès d’une association appelée “Femmes responsables” à Gérardmer, je pose les bases de ce qui est pour moi l’essentiel du Tantra, en faisant le parallèle avec le yoga, et de son évolution.
D’autre part, et c’est en cela qu’il se distingue des autres voies spirituelles, j’essaye de montrer l’importance de la relation dans le Tantra, pour le développement (growth) individuel, qui amène aussi à un développement relationnel, collectif et sociétal. Mais ça nous le verrons dans un autre article.
En effet, bien que le Tantra soit une voie de re-connaissance de notre nature essentielle, ce retour vers soi s’avère être un retour vers l’autre, car c’est à travers l’autre que nous parvenons à être pleinement nous-mêmes. Et réciproquement, notre capacité à être en harmonie avec autrui dépend de notre paix intérieure, et donc de la prise en compte de notre lumière intérieure. Il existe donc une interaction perpétuelle entre soi et l’autre, entre l’individu et le collectif.
Pour ceux qui ont une sensibilité spirituelle, une dimension supplémentaire s’ajoute à cette équation : le divin, ou le « tout autre ». Nous explorerons comment le Tantra établit une connexion entre soi, l’autre et le divin. Bien que ces concepts trouvent leurs origines en Orient, nous verrons comment ils peuvent se décliner de manière très occidentale et s’appliquer à notre réalité contemporaine.
Le yoga et le Tantra : Une évolution spirituelle
Le yoga, aujourd’hui largement répandu en Occident, a connu une transformation significative depuis son introduction. À l’origine pratique spirituelle profonde, il est devenu pour beaucoup une activité physique et de bien-être, intégrée à la vie quotidienne sans nécessairement conserver sa dimension spirituelle originelle.
Aujourd’hui, la pratique du yoga ne s’inscrit plus nécessairement dans la quête de l’éveil telle que l’enseignait Patanjali. Pour beaucoup, elle est devenue une routine matinale visant à améliorer le bien-être physique et mental. Les différentes formes de yoga qui se sont développées reflètent cette diversité d’approches, certaines conservant une forte dimension spirituelle, d’autres se concentrant davantage sur l’aspect physique.
Alors que dans les années 60 les pratiquants de yoga paraissaient un peu perchés, les cours de yoga font partie maintenant de pratiquement toutes les activités de remise en forme, ayant perdu son caractère ésotérique pour devenir une pratique normalisée et acceptée.
Le Tantra, quant à lui, commence à faire son apparition dans le paysage occidental. Il est probable que nous assistions avec le Tantra à un phénomène similaire à celui qu’a connu le yoga : l’importation d’une pratique spirituelle d’Extrême-Orient, qui se transformera progressivement pour s’adapter aux besoins et à la mentalité occidentale.
Un parcours personnel vers le Tantra
Pour comprendre l’évolution et l’importance du Tantra, je vais parler un peu de mon parcours personnel, car il est lié à cette évolution.
Dès l’enfance, une curiosité naturelle pour l’observation et la compréhension du monde environnant peut se développer. Cette curiosité, alimentée par les expériences de vie et les interactions familiales, peut conduire à un intérêt précoce pour la psychologie et le développement personnel.
L’adolescence, avec ses changements hormonaux et émotionnels, a accentuer ce besoin de me comprendre. Face à des sentiments nouveaux comme l’attirance sexuelle et la timidité, j’ai cherché des réponses dans les livres, entamant ainsi un voyage intellectuel dans le domaine de la psychologie. Cette quête de connaissance s’est poursuivit à l’âge adulte à travers diverses formes de psychothérapie et de développement personnel.
Ayant une formation scientifique, la découverte de l’Intelligence Artificielle a représenté pour moi un pont fascinant entre la psychologie cognitive et l’ingénierie, offrant de nouvelles perspectives sur le fonctionnement du système cognitif humain. Une carrière dans ce domaine peut offrir l’opportunité de collaborer avec des experts de diverses disciplines des sciences humaines et sociales, enrichissant ainsi la compréhension de ce que signifie être humain.
Cependant, malgré la richesse intellectuelle d’une telle carrière, il peut subsister un sentiment que quelque chose manque, une dimension de sens qui transcende l’approche purement scientifique. C’est souvent ce sentiment qui pousse à explorer des voies plus spirituelles.
L’introduction au yoga, peut-être par l’intermédiaire d’un proche, peut marquer le début d’une exploration des pratiques orientales. Même si la pratique physique du yoga peut s’avérer difficile pour certains, les bénéfices peuvent être nombreux :
- La découverte de la méditation, même dans sa forme la plus basique présente dans le hatha yoga.
- La prise de conscience de l’énergie corporelle, souvent guidée par des enseignants expérimentés.
- L’importance de la respiration, ou pranayama, dont les bienfaits pour la santé sont de plus en plus reconnus.
Ces éléments, issus de la pratique du yoga, peuvent jeter les bases d’une compréhension plus profonde qui mènera éventuellement au Tantra.
Le Tantra : Origines et concepts fondamentaux
Le Tantra, tout comme le yoga, trouve ses racines dans la tradition spirituelle indienne. Pour bien comprendre le Tantra, il est essentiel de le situer dans le contexte de la mentalité indienne, qui diffère significativement de la pensée chinoise, par exemple.
Dans la spiritualité indienne, de nombreuses pratiques sont conçues dans l’objectif ultime d’atteindre l’éveil. C’est là une différence fondamentale avec des philosophies comme le taoïsme chinois, qui, bien que proche du Tantra à certains égards, recherche plutôt l’harmonie et la santé.
Le Tantra originel ne vise pas spécifiquement l’harmonie, mais l’éveil, c’est-à-dire l’union avec le divin. Cette expérience d’éveil est décrite comme transcendant notre expérience ordinaire en tant qu’individu et ceux qui l’ont vécu ont énormément de mal en rendre compte car les mots de tous les jours ne peuvent décrire ce qui est au-delà du ‘moi’, cette dissolution de l’ego pour s’unir au grand tout (ou à la Source, au divin). C’est cette expérience fondamentale que le Tantra cherche à atteindre.
Historiquement, le Tantra a émergé à peu près à la même époque que le yoga. Les premiers textes tantriques remontent à environ 500 après J.-C., avec un développement significatif entre le Xème et XIIème siècle. Il est intéressant de noter que cette période, qui correspondait à l’époque médiévale en Europe, était une ère florissante en Inde, marquée par une production abondante de textes philosophiques et spirituels visant à explorer et à atteindre l’éveil.
C’est là que le Tantra rejoint le Taoïsme et d’une manière toutes les grandes spiritualités non-duales : cette voie est fondée sur une dualité (lumière et ombre, froid et chaud, masculin et féminin, bien et mal, corps et esprit) qui devient unité.
Shiva et Shakti : La dualité fondamentale
Dans le Tantra, cette dualité est représentée par le couple Shiva-Shakti. Shiva, figure centrale de l’hindouisme, apparaît sous diverses formes selon les traditions régionales et temporelles. L’hindouisme, contrairement au catholicisme par exemple, n’a pas connu d’unification doctrinale, ce qui explique sa grande diversité. Dans le Tantra, il est la conscience suprême parfaite, la présence immobile qui est à la base de notre être. Si vous connaissez un peu le bouddhisme et avez pratiqué la méditation de pure conscience, c’est un peu comparable à l’esprit de Shiva, bien qu’il s’agisse là d’une simplification car Shiva est un dieu, alors que Bouddha était au départ un être humain, un peu déifié par la suite, mais c’était bien un être humain.
Dans la perspective tantrique, nous sommes fondamentalement cette conscience pure, même si nous n’en sommes pas toujours conscients dans notre vie quotidienne.
Shakti, quant à elle, représente l’énergie-matière. Elle est le principe de manifestation, englobant le corps physique et tout ce qui existe matériellement. Nos corps sont considérés comme des manifestations directes de Shakti.
Dans l’iconographie tantrique, Shiva et Shakti sont souvent représentés dans une étreinte éternelle, symbolisant l’union cosmique qui perdure depuis des temps immémoriaux et se poursuivra jusqu’à la fin des temps. Ils sont ainsi reliés par le désir charnel ou élan de vie, l’amour qui relie les âmes, et la conscience qui transcende le tout.
Le corps est un temple
Le Tantra enseigne que cette trinité – Shiva, Shakti et leur union – est présente dans notre corps. Contrairement à d’autres traditions qui ont des lieux de culte physiques, dans le Tantra, le corps lui-même est considéré comme un temple. Cette conception découle de l’idée que nous sommes des éléments sacrés, des parties de Shakti douées de conscience. Ainsi, nous sommes en nous-mêmes des incarnations du divin, des parties du divin dans la dualité, tout en étant déjà présents dans l’unité.
Dans cette trinité incarnée, existe une trinité que l’on retrouve souvent dans le Tantra:
- l’élan de vie, les pulsions, l’énergie vitale et le désir sont associés au bas du corps, au bassin,
- l’amour est lié au cœur, ou plus exactement au chakra du cœur (Anahata) situé au centre de la poitrine, qui joue un rôle crucial de point de connexion avec l’autre,
- et la conscience située dans la tête, permet d’avoir une perspective d’ensemble du processus.
C’est cette conception holistique qui définit le Tantra. Il vise à unifier ces trois éléments de manière concrète et pratique. Pour l’instant tous ces concepts peuvent paraitre bien théorique, mais ils s’incarnent directement dans les pratiques tantriques.
Légende : Le corps est un temple qui peut être décrit par 3 centres: l’énergie vitale dans le bassin et le bas du corps, la connexion et les sentiments par le cœur situé dans la poitrine, et la conscience et l’intellect qui réside dans la tête.
Le Tantra et les philosophies occidentales
Le Tantra offre une perspective unique en ce qu’il parvient à réunir deux courants philosophiques fondamentaux de la pensée occidentale, tous deux originaires de la Grèce antique : le stoïcisme et l’épicurisme. On les retrouve constamment dans notre culture.
Le stoïcisme prône un détachement vis-à-vis du monde matériel. Il enseigne à être dans le monde sans se laisser affecter outre mesure par les événements extérieurs. L’adepte du stoïcisme pourrait dire, face à l’adversité : « Ma maison qui brûle, ce n’est pas grave. » Bien que cette attitude puisse sembler extrême, elle illustre un principe fondamental du stoïcisme : la capacité à discerner ce qui est en notre pouvoir de ce qui ne l’est pas. Le stoïcien concentre son énergie sur ce qu’il peut maîtriser et accepte avec sérénité ce qui échappe à son contrôle, cultivant ainsi une forme de distance émotionnelle et une grande capacité à l’action.
En ce moment, il y a un grand retour au stoïcisme chez les jeunes, et des ouvrages comme les « Les Pensées pour moi-même” de Marc Aurèle, ou les enseignements d’Epictète deviennent les nouveaux livres de chevets des youtubeurs et des jeunes entrepreneurs, de ceux qui veulent agir, prendre leur vie en main, et trouver leur place dans le monde.
Dans le Tantra, cette disposition au détachement est incarnée par le principe de Shiva. On retrouve une approche similaire dans le bouddhisme, où la pratique de la pleine conscience permet de prendre du recul par rapport au tumulte de la vie quotidienne. Cette pratique mène à un état d’équanimité où les préoccupations mondaines perdent de leur emprise sur nous.
À l’opposé du stoïcisme se trouve l’épicurisme, qui invite à une immersion totale dans l’expérience de la vie. Cette philosophie encourage à plonger dans la matière, à s’incarner pleinement et à vivre intensément l’instant présent. Alors que pour le stoïcisme grec, les obstacles nous amènent à nous dépasser nous-mêmes, et ainsi à réaliser notre raison d’être, pour l’épicurisme c’est la jouissance de l’instant présent qui est à la source de notre plénitude.
Etonnamment, l’épicurisme se rencontre chez des personnes plus mûres, souvent un peu défaitistes vis à vis du monde. Michel Onfray et André Comte-Sponville sont les tenants de cette approche, même s’ils sont bien différents l’un de l’autre. Il y a un certain pessimisme chez ces auteurs, qui est lié d’après moi au fait que ni ni l’autre n’ont rencontré le divin dans leur existence. Ils tiennent ainsi à des valeurs sociales, chrétiennes, et en même temps désirent vivre leur existence avec intensité, mais sans y trouver vraiment un sens d’après moi.
Le Tantra permet d’associer ces deux philosophies, en mettant de la conscience dans le plaisir. La partie Shakti du Tantra, ce que je rapproche de l’épicurisme, se manifeste plus particulièrement dans les moments où nous savourons pleinement un repas délicieux, lorsque nous nous abandonnons à la danse, quand nous célébrons la vie avec nos amis, ou encore dans l’intimité partagée avec un être aimé. Et en même temps, le Tantra propose de mettre de la joie et de la légèreté dans les vicissitudes que la vie nous apporte fatalement. Il ne s’agit pas de vivre quotidiennement dans le fun ou la dérision, en faisant la fête tous les soirs et en fichant de tout, mais de voir que tout cela est un jeu, que l’existence est le résultat de la Leela, de la danse cosmique du divin. Le monde est une illusion, et en même temps le lieu où se passe la Vie, l’endroit où nous pouvons être pleinement vivants.
L’incarnation et l’expérience humaine
Pour saisir la valeur de notre incarnation, imaginons un instant que nous soyons des anges, comme ceux dépeints dans « La Cité des Anges » ou « Les Ailes du Désir » de Wim Wenders. Si nous étions des qu’anges, nous serions peut-être parfaits. Et pourtant, les anges nous envient. Pourquoi ? Parce que nous avons un corps, qui nous permet de ressentir, de faire l’expérience de la Vie. Nous connaissons le plaisir, mais aussi la souffrance et la douleur. Les petits maux, les tracas du quotidiens, les bobos, les souffrances physiques et psychiques, les défis et les peines sont notre lot, pas celui des anges. Mais c’est précisément cela qui nous ancre dans le monde et rend notre expérience si riche.
Nous avons une chance incroyable, celle d’être incarnés. On aurait pu ne pas être. Si nos parents ne s’étaient pas rencontrés, qui serions-nous ? Rien. Donc, nous sommes, ici, incarnés sur terre, et cette simple évidence met en lumière le caractère précieux et presque miraculeux de notre existence.
Donc, on aurait pu ne pas être, mais on est ici, présents. C’est une vérité inébranlable.
Et on a une chance incroyable de faire l’expérience de cette magie inhérente à l’existence, parce que la vie elle-même est magique. L’arrivée d’un enfant sur Terre est un phénomène incroyable. Personnellement, depuis l’arrivée de mes deux enfants, je suis toujours émerveillé par le fait que de quelques cellules puisse apparaître un être humain complet. Bien sûr, je connais le processus biologique qui a permis cela, mais même si ce processus est scientifiquement explicable, cela reste source d’émerveillement pour moi. La magie, on peut la chercher partout, dans des phénomènes extraordinaires, mais elle est déjà là, omniprésente, dans les saisons, la nature, les saisons, la croissance d’une plante, l’évolution des espèces, l’amour, le désir, le plaisir d’un plat partagé, dans tous les aspects les plus évidents et les plus quotidiens de la vie.
Notre simple présence dans ce monde nous plonge dans un espace empreint de magie. Cependant, nous sommes également conscients de notre finitude. Un jour, nous ne serons plus là. Que se passera-t-il après ? Les réponses varient selon nos croyances individuelles. Certains imaginent une réincarnation, d’autres une existence angélique, d’autres encore une forme de vie après la mort. Il m’arrive personnellement d’adhérer à ces différentes visions, parfois de douter, parfois de m’en accommoder. En réalité, comme la plupart d’entre nous, je n’ai pas de certitude absolue sur ces questions.
Néanmoins, il y a une chose dont je suis certain : je suis ici, présent, maintenant, dans ce corps, et cette certitude d’être incarné et ce sentiment de faire partie et d’être connecté à quelque chose de plus grand que moi, que j’appelle le Divin, et que Spinoza appelait Dieu ou encore la Nature, est d’après moi le point de départ de toute expérience tantrique, mais aussi le moteur qui permet d’accéder à cette libération tout autant physique, que psychique et spirituelle.
Les textes tantriques : la théorie et les pratiques
La littérature tantrique se divise principalement en deux catégories : les textes théoriques, comme ceux d’Abhinavagupta (notamment le Tantrāloka ou l’élucidation du Tantra), et les textes décrivant des pratiques concrètes, tels que le Vijnana Bhairava Tantra. Mais même les traités théoriques décrivent des pratiques, car le Tantra s’incarne dans le quotidien, dans chacun des aspects de la vie. Comme le dit Colette Poggi, dans La Reconnaissance du Soi, un ouvrage où elle traduit et commente un livre d’Abhinavagupta :
L’ouverture de l’être humain à la réalité universelle, non dans le cadre strict de rituels religieux, mais également au gré d’expériences enracinées dans la vie quotidienne, telle était l’horizon dessiné par les lignées cachemiriennes (note: du Tantra originel) : avec une lumineuse évidence, cette invitation à la métamorphose intérieure m’apparut comme la plus essentielle et la plus humaine des aventures. Colette Poggi. La reconnaissance du Soi selon Abhinavagupta.
Le Tantra part ainsi du principe que, puisque nous sommes nous-mêmes des incarnations du divin, chaque fois que nous mettons en œuvre des pratiques tantriques, nous actualisons le divin dans notre présence et dans nos interactions.
La conception du divin dans le Tantra
La conception du divin dans le Tantra diffère quelque peu de celle des religions du livre (judaïsme, christianisme, islam) bien qu’il existe des points de convergence entre les deux traditions. Selon le Tantra, pour pouvoir s’incarner, le divin s’est en quelque sorte « oublié » à l’intérieur de nous.
On retrouve cette idée dans la Kabbale. Le divin est la totalité. Mais étant tout, il lui manque l’expérience de la limitation. De manière imagée, il s’ennuie. Donc, pour vivre, pour ressentir, pour être vraiment la totalité, pour ne pas être seulement la totalité possible, mais aussi la totalité en acte, il est nécessaire qu’il connaisse la limitation. Donc, il doit connaître à la fois l’illimité et la limitation. Et cette limitation, c’est nous. Nous sommes l’incarnation, la limitation, le lieu où le divin fait l’expérience de la matière. Nous sommes les limitations du divin, mais en tant que limitation, nous sommes aussi le divin à l’intérieur de nous.
Dans cette perspective, notre quête spirituelle consiste à redécouvrir cette étincelle divine en nous. Il ne s’agit pas tant d’aller chercher quelque chose d’extérieur, mais de reconnaître ce qui est déjà là. Donc, dans le Tantra, on ne va pas chercher à être plus quelque chose, ou à atteindre un certain état, mais simplement à reconnaitre notre nature véritable. Et comment va-t-on la reconnaître ? En enlevant les voiles de l’ignorance, en nettoyant ce qui fait obstacle à cette reconnaissance.
Les obstacles à la reconnaissance du divin en soi
Ce qui nous empêche de percevoir cette vérité fondamentale, ce sont des couches que l’on pourrait qualifier de « bagage psychologique ». Ces couches comprennent certes des éléments positifs, mais aussi des formes d’émotions et de pensées limitantes, des croyances restrictives, des peurs, et en particulier, de nombreuses peurs sociales. S’y ajoutent des jugements liés à ces croyances. Ces couches constituent les obstacles qui nous empêchent de contacter notre essence profonde, qui est l’union de Shiva et Shakti en nous.
Que propose le Tantra ? Il nous fournit des techniques éprouvées par des millénaires de pratique, pour nous aider à aller à la rencontre de notre soi intérieur, de notre qualité pure et parfaite, de cette union fondamentale de Shiva et Shakti en nous, en nettoyant progressivement ces différentes couches qui nous en séparent.
La question qui se pose naturellement est : comment ? Comment ce processus se déroule-t-il concrètement ? Comment pouvons-nous aller vers cette reconnaissance de nous-mêmes ? Comment pouvons-nous nettoyer ces couches qui nous empêchent de nous connaître véritablement ?
C’est là que le Tantra sort de la théorie pour aller dans la pratique, en proposant une multitudes de techniques, dont certaines s’effectuent seules (comme certaines méditations) et d’autres se pratiquent en duo, en reliant les corps, les coeurs et l’esprit. Tout cela afin de nettoyer ces couches de représentations et croyances limitantes, de blessures psychiques, et de protections enfermantes, afin, petit à petit, de reconnecter cette essence divine qui est en nous, et d’unir Shiva et Shakti à l’extérieur comme à l’intérieur.
Le Tantra moderne : du spirituel à la transformation individuelle
La plupart des pratiquants de Tantra ne viennent pas pour l’éveil, mais pour se sentir mieux, pour renouer avec leur masculinité ou leur féminité, pour avoir plus confiance en eux, en un mot pour se libérer de leurs blocages psychiques, sans pour autant se sentir malades et avoir besoin d’une thérapie (il est tout à fait possible de suivre une psychothérapie en même temps que le tantra, cela ne fait qu’accélérer le processus de guérison). En réalité, les pratiquants viennent pour trouver de la joie, pour mettre du bonheur dans leur vie, pour incarner leur “meilleure version d’eux-mêmes”, et surtout pour se connecter les uns aux autres et ressentir le bonheur de l’amour circuler entre soi et les autres. Car l’essentiel, ce qui donne notre sentiment d’être vivant c’est d’aimer et être aimé. Nous sommes des êtres sociaux, et l’amour est notre lien fondamental, celui qui nous donne de la joie, rend belle la vie, et nous permet d’accomplir des choses incroyables. Mais pour entrer dans cet Amour, cet agapé (note: lire les 4 visages de l’amour : Agapé), le processus de libération offert par le Tantra est inestimable, car il dispose de tout un ensemble de moyens qui permettent à chacun de vivre cette métamorphose, cette transformation, et passer de la chenille au papillon, en réalisant tout son potentiel de vie.
Le Tantra est ainsi devenu un système pour augmenter ses possibilités de joie, en faisant circuler l’énergie de vie et d’amour qui est au centre de notre être, afin, au travers de l’extase, se transformer. Cela peut paraitre étrange de parler ainsi, mais le Tantra est le système de transformation le plus puissant que je connaisse, alors qu’il n’a pas été conçu initialement pour ça. Je ne nie pas du tout le côté spirituel du Tantra, bien au contraire, car je suis venu au Tantra pour cela aussi, mais le fait d’intégrer les polarité masculine et féminine de chacun, de relier les trois centres (corps/énergie vitale, cœur/amour, tête/conscience), d’intégrer l’énergie sexuelle avec la connexion au divin (la sexualité sacrée dont on va parler ensuite), contribue à faire sauter toutes les couches qui nous empêchent d’être heureux et vivants.
Nous sommes heureux quand nous nous sentons vivants, et nous sommes vivants quand on est en contact avec l’autre tout en étant en contact avec soi, quand nous pouvons nous prendre dans les bras sans peurs, quand nous ressentons la lumière divine au fond de notre être tout en voyant celle qui existe chez l’autre.
Ainsi, comme le yoga qui est passé d’une voie spirituelle pour un petit nombre, à un système de santé pour le plus grand nombre, le Tantra peut aider tout le monde à se sentir mieux, en développant ses capacités relationnelles, tout en se libérant de nos conditionnements sociaux.
De plus, il est possible, quand on a suffisamment de pratique, de ressentir à la demande la félicité (”bliss” en anglais) et ainsi de doper nos capacités de créativité, de travail, et de réussite. En gros, le Tantra agit un peu, toute proportion gardée, comme la pilule NZT dans le film “limitless” (”sans limite” en français), en nous permettant d’être plus en paix, plus efficace quand cela est nécessaire, plus calme quand on en a besoin, plus productif au travail. Je me souviens que, au début que je faisais du Tantra alors que j’étais encore à l’université à enseigner et à faire des recherches, tout était plus facile. J’avais plus d’idées, j’étais plus détendu donc j’étais plus en lien avec les étudiants, j’étais moins à devoir prouver quelque chose, et tout venait naturellement à moi.
J’ai ainsi pu vivre ce qui est dit dans le film “le Secret” et ressentir pour moi les bienfaits de “la loi d’attraction”, en vivant une grande quantité de transformations dans ma vie, ce qui m’a apporté énormément. Et je vois la quantité incroyables de personnes qui viennent dans le Tantra est qui vivent enfin leur vie de rêve, ou plus exactement qui se mettent en chemin pour réaliser leurs projets et parfois même au delà. Bien sûr, ces transformations sont subtiles, mais de même que le hatha yoga permet d’améliorer ses conditions physiques et énergétiques en pratiquant régulièrement, de même le Tantra aide à oser accomplir ses projets.
Et tout cela dans le plaisir et la félicité.
En effet, au Tantra, il est courant de ressentir un état de bien-être particulier, une sorte de « high » naturel. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles, dans les stages de Tantra, la consommation d’alcool est généralement proscrite. Parce qu’on est déjà dans un état de conscience modifié naturel, ce qui rend superflu – et aussi contre productif – l’absorption de substance supplémentaire. Notre corps suffit car il produit naturellement des endorphines et ce qu’on appelle maintenant des anandamides (le terme « anandamide » vient de « ânanda », qui signifie félicité en sanscrit), des molécules qui provoquent un état de bien-être naturel.
Le dilemme du hérisson : une métaphore de nos relations
La parabole de Schopenhauer sur la vie des porc-épics, offre une métaphore pertinente pour comprendre l’approche tantrique des relations.
Par une froide journée d’hiver un troupeau de porcs-épics s’était mis en groupe serré pour se garantir mutuellement contre la gelée par leur propre chaleur. Mais tout aussitôt ils ressentirent les atteintes de leurs piquants, ce qui les fit s’écarter les uns des autres. Quand le besoin de se réchauffer les eut approchés de nouveau, le même inconvénient se renouvela, de sorte qu’ils étaient ballottés de çà et de là entre les deux maux jusqu’à ce qu’ils eussent fini par trouver une distance moyenne qui leur rendît la situation supportable.
Cette métaphore illustre parfaitement le défi des relations humaines. Nous avons besoin de proximité et d’intimité, mais nos « piquants » – nos peurs, nos défenses, nos blessures passées – nous font souvent reculer lorsque nous nous rapprochons trop, car quand nous nous rapprochons il y a les piquants des autres. Comme dans les couples, nous nous rapprochons, mais des conflits apparaissent et les piqures que nous recevons nous font nous éloigner les uns des autres.
Le Tantra, à travers ses pratiques de connexion consciente et de présence, nous aide à « adoucir nos piquants », à nous rapprocher les uns des autres, afin de ne plus voir en l’autre un “porteur de piquants”, un danger potentiel. Nous pouvons alors réaliser qu’au final nous sommes proches, des “prochains” comme le disent les chrétiens. Et que nous pouvons alors nous rapprocher les uns des autres indépendamment de la couche sociale de bienséance. Dans les stages je dis souvent “Quand vous allez vous retrouver à table, ne parlez surtout pas de vos métiers”. C’est l’inverse de ce qu’on fait dans la vie. Dans la vie, on se dit : « Bonjour, comment appelez vous?” et juste ensuite “qu’est-ce que vous faites dans la vie ? ». Je ne juge pas ça, car c’est notre manière sociale de vivre ensemble. Mais au Tantra on se connecte d’âme à âme, c’est-à-dire par le regard et les mains. Cela ne passe que très peu par le langage et surtout pas par les convenance. Cela n’a pas du tout la même saveur, car on se connecte rapidement. On entre en agapé de manière directe.
C’est ainsi que le Tantra, par des outils simples mais très puissants, en apprenant à être pleinement présents avec nous-mêmes et avec l’autre, nous amène à avancer dans cet espace où l’individualité rencontre la proximité, où l’on peut s’ouvrir sans se blesser, où l’on peut fusionner sans se perdre, afin de créer des relations plus riches, plus satisfaisantes. Et surtout, il nous permet de faire l’expérience de ce divin en soi avec l’autre, de vivre cet amour divin, cet agapé, qui guérit notre cœur et notre âme, et nous nourrit au plus profond de nous-mêmes.
Les pratiques tantriques : Une approche holistique
La pratique du Tantra se distingue de nombreuses autres approches spirituelles par son caractère holistique et son intégration du corps et de la sexualité dans le processus spirituel. Cette particularité peut être source de surprise, voire de confusion, pour ceux qui sont habitués à des traditions spirituelles qui tendent à séparer le corps et l’esprit, ou à considérer la sexualité comme un obstacle à la spiritualité.
La plupart des spiritualités que je connaissais avant de rencontrer le Tantra avaient une approche différente. J’ai toujours été très spirituel. Adolescent, j’étais très “mystique” et je voulais rencontrer Dieu.
Mais ce qui était proposé, dans les religions classiques, ne me comblaient pas.
En 2001, j’ai vécu une expérience spirituelle très intense. Par la suite, j’ai cherché à retrouver cette expérience dans les propositions spirituelles qui m’étaient accessibles, principalement le christianisme. J’ai ainsi exploré les voies des religions classiques, j’ai aussi été
J’ai exploré ces voies, mais à chaque fois, quelque chose me gênait. Ce qui me dérangeait, c’est qu’il y avait une certaine division entre notre corps et Dieu. Il y avait un côté très élevé, très tourné vers le ciel, ce que je trouve admirable. Mais le corps était mis de côté, ou alors on cherchait à le contrôler. C’est ce qu’on appelle l’ascétisme.
Le Tantra propose une vision unifiée de l’être humain, où corps, esprit et énergie sexuelle sont considérés comme des aspects complémentaires et interdépendants de notre être. Cette approche intégrative permet de transcender la dualité souvent perçue entre le spirituel et le physique, entre l’ascétisme et l’hédonisme.
Les pratiques tantriques sont variées et englobent plusieurs dimensions :
- La création d’un espace sacré : Toutes les pratiques tantriques se déroulent dans un espace considéré comme sacré. Cet espace n’est pas nécessairement un lieu physique particulier, mais plutôt un état d’esprit, une intention de connexion avec le divin et avec l’autre.
- La connexion et la présence : Le Tantra met l’accent sur la qualité de présence dans chaque acte, chaque geste. Une simple caresse peut devenir une pratique profonde si elle est réalisée avec une pleine conscience et une intention de connexion.
- Les respirations : Des techniques de respiration spécifiques sont utilisées pour augmenter la sensibilité et la conscience du corps.
- Les méditations : Diverses formes de méditation sont pratiquées, souvent en lien avec la conscience corporelle.
- Le toucher conscient et les massages : des techniques de massage et de toucher sont utilisées, non pas dans un but de relaxation comme dans le massage classique, mais pour établir une connexion sensorielle profonde, et au travers de cette connexion, rencontrer l’autre et surtout se rencontrer soi-même, et rencontrer le Soi (son essence et le divin).
- Les danses : Différentes formes de danse sont intégrées comme moyen d’expression corporelle et de connexion à l’énergie. Et surtout, la danse est reliée directement à Shiva (et aussi à Shakti) représenté souvent comme le danseur (naṭarāja) à l’origine de la danse du monde.
- Les pratiques énergétiques : Le Tantra enseigne des techniques pour percevoir, mobiliser et diriger l’énergie (le prana) dans le corps.
- Les rituels : Le Tantra comprend de nombreux rituels qui servent à établir et maintenir l’espace sacré.
Et au travers de toutes ces pratiques, intégrer quelques outils de “nettoyage” tels que la libération émotionnelle, la transmutation des affects, la déconstruction des croyances limitantes (et notamment celles qui sont liées à la sexualité), afin, encore et toujours, d’établir une re-connexion, une “nouvelle alliance” dirais-je, envers soi et le monde.
L’objectif de ces pratiques n’est pas simplement le plaisir ou la relaxation, mais une transformation profonde de notre rapport à nous-mêmes, aux autres et au monde. Elles visent à nous rapprocher les uns des autres en diminuant nos « piquants » comme nous l’avons vu, nos défenses, nos peurs de l’autre.
Note: Nous développerons les pratiques, la sexualité sacrée et surtout l’intégration de ces pratiques dans un contexte sociétal dans des articles ultérieurs.
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