Par Jacques Ferber.

Il y a parfois des termes qui semblent évidents, mais qui, lorsqu’on les examine de plus près, donnent l’impression de ne pouvoir être saisis, comme une savonnette sous la douche qui s’éloigne à chaque fois qu’on croit la tenir.

Il en est ainsi de la notion de « sexuel », et notamment de « rapport sexuel ».

C’est en lisant le rapport de l’Inserm de novembre 2024 sur la sexualité des français, et la différence d’interprétation entre les hommes et les femmes, sur la phrase : « Combien avez vous eu de rapports sexuels ces quatre dernières semaines” que j’ai tilté. Il semblerait, d’après certaines interprétations données lors d’une journée sur la sexualité sur Radio France le 14 novembre 2024, que pour les hommes, toute interaction donnant lieu à une éjaculation compte comme “rapport sexuel”, alors que pour les femmes ne comptent que les interactions où il y a eu une réelle connexion, où le cœur a été pris en compte. En d’autres termes, pour les hommes seul le rapport physique compterait alors que pour les femmes, le cœur importerait tout autant que le sexe lui-même. Bien sûr, ces différences sont statistiques, et il y a des hommes pour lesquels le cœur compte plus que le sexe et vice-versa, mais l’écart dans les réponses témoigne de ce qu’il est difficile de caractériser ce qu’est un “rapport sexuel”.

J’ai été aussi surpris de constater que, d’après la tonalité des questions et des réponses (« A quel âge avez vous eu votre premier rapport sexuel? », il y ait comme une équivalence implicite entre rapport sexuel et coït (pénétration des sexes). Bien sûr que le coït est considéré comme un acte sexuel, mais est-ce la seule définition que l’on ait du rapport sexuel ? Est-ce qu’il est possible de considérer des rapports sexuels sans coït, comme on peut le préconiser parfois comme une pratique tantrique visant à sortir des sentiers battus ?

Mais si l’on sort de la définition du « rapport sexuel = coït », quelle est la limite de ce qu’on considérera comme sexuel ? Ainsi si je caresse les cuisses de ma compagne et passe tout à côté de sa vulve et que je sens son désir monter sans que j’aille plus loin, est-ce qu’il y a eu un rapport sexuel ? Si elle prend mon pénis encore flasque dans la bouche comme s’il s’agissait d’un bonbon, sans chercher d’excitation, est-ce un rapport sexuel ?

Cette interrogation me fait penser à l’affaire Monica Lewinsky et de la nature du rapport qu’elle entretenait avec Bill Clinton. Et la question que posait notamment Thierry Ardisson « Est-ce que sucer c’est tromper? » signifie en réalité: est-ce qu’un rapport sexuel oral peut être considéré comme un « vrai » rapport sexuel et ainsi créer une infidélité dans le couple. Une étude européenne de 2019 réalisée par l’Ifop établit que 78% des Espagnols et des Anglais estiment qu’il s’agit d’une infidélité, contre 69% des Italiens et 40% des Français. Cela signifie que l’acte lui-même est perçu différemment selon sa culture, et donc selon tout un ensemble de critères personnels. Il n’y a pas réponse générale pour savoir si une pratique ambiguë est sexuelle ou non.

Dans le Tantra, la notion de « sexuel » est encore plus difficile à appréhender. D’un côté tout est sexuel, puisque l’énergie de vie, la kundalini est l’énergie sexuelle considérée comme stockée dans notre bassin, et que des pratiques de méditation, de respiration, de touchers léger et d’une manière générale de diffusion de cette énergie sont utilisées pour la transmuter en extase et en élément d’union avec le cosmos. En d’autres termes, l’énergie sexuelle est le fondement à partir duquel beaucoup de pratiques tantriques fonctionnent, sans pour autant aller dans la sexualité.

Dans les stages de Tantra Intégral, l’organisme que je dirige, le passage à l’acte sexuel, aussi bien pendant les pratiques qu’en dehors (sauf pour les couples inscrits en couples) est interdit, afin d’une part de sécuriser l’ensemble des participants (et surtout des participantes), mais aussi de montrer que le principe du Tantra n’est pas le passage à l’acte, mais la transmutation de l’énergie sexuelle aussi bien pour des raisons spirituelles, psychologiques et de bien-être.

Il n’empêche que cette question demeure : est-ce que le massage tantrique, qui est un massage de tout le corps, comprenant éventuellement (si la personne le demande), un massage des zones génitales, sans recherche d’excitation, est sexuel ? Pour les pratiquants de Tantra, ce n’est pas sexuel, car il n’y a pas de recherche d’excitation, ni de désir dans la personne qui donne ce massage, mais pour des observateurs extérieurs cela semble assez étonnant, et cela peut provoquer des sentiments de jalousie quand son compagnon ou sa compagne reçoit un massage tantrique d’une autre personne.

Une fois toutes ces considérations posées, qu’est ce qui est « sexuel » ? Voici trois définitions, l’une très générales et les autres plus précises que je propose. Elles ne prétendent pas répondre à la question “Qu’est ce qu’un rapport sexuel” dans son entièreté, mais d’ouvrir le questionnement et de montrer la difficulté à définir précisément ce qu’il en est.

  1. Première définition: tout ce qui est rapport à la libido, l’énergie de vie, est sexuel. C’est ainsi que je peux dire que mon slogan « faire l’amour à la Vie » porte sur l’énergie vitale, mais aussi l’énergie sexuelle, même si cela n’implique pourtant aucune sexualité au sens ordinaire du terme. Il faut le voir comme une manière d’appréhender la vie comme s’il s’agissait d’une connexion intime que nous pouvons avoir avec tout ce qui nous entoure, avec la nourriture, les plantes, le soleil, le vent, la terre, etc. Et bien sûr avec tous les êtres humains, en ressentant la connexion profonde qui nous relie les uns aux autres comme ce qui nous unit au Grand Tout, à la Vie. Clairement cette première définition de la sexualité n’est pas spécifique et englobe tout. Elle se situe à l’extrémité du spectre des sens que nous pouvons donner au terme « sexuel ».
  2. Deuxième définition : pratiquement à l’opposé de la première : On dira qu’est spécifiquement sexuel tout ce qui concerne l’excitation des parties génitales. Cela implique que :
    1. Un massage tantrique ne cherchant pas exciter les parties génitales (ni les seins), n’est pas sexuel. C’est ainsi qu’on le pense dans les formations en massage tantrique. Il n’y a pas de recherche de l’excitation, et si celle-ci arrive il n’y a pas de passage à l’acte sexuel ensuite, car on cherche essentiellement à diffuser cette énergie pour la transformer en félicité.
    2. Les formes d’excitation qui ne s’effectuent pas sur les zones génitales, ni les seins, ne sont pas considérées comme sexuelles. Par exemple des caresses dans le cou, dans l’intérieur des cuisses, sur les hanches, dans le bas du dos, dans le cuir chevelu, etc, ne sont pas considérées comme sexuelles.
    3. Les jeux de domination/soumission ou BDSM qui ne cherchent pas l’excitation des parties génitales ne sont pas considérés comme sexuels.

Mais si cette définition parait simple, elle soulève tout de même quelques questions:

  1. Est-ce qu’un baiser sur la bouche avec la langue (on peut se poser aussi la question lorsqu’il n’y a pas de langue) est sexuel ? Pour beaucoup de personnes, ce type de baiser est très intime, et nombre de personnes considèrent qu’il y a une infidélité si leur partenaire embrasse ainsi quelqu’un d’autre.
    1. Est-ce qu’un contact entre la bouche ou la langue et les parties génitales du partenaire sans qu’il y ait excitation est-il sexuel ? Ces pratiques sont interdites dans les stages de massage et dans les massages professionnels. Mais dans l’intimité du couple, elles peuvent faire partie d’une pratique « non sexuelle », c’est-à-dire tendre et amoureuse, sans qu’elles amènent à une autre pratique plus naturellement considérée comme sexuelle.
  2. Troisième définition : tout contact entre « parties roses » est sexuel. Cela signifie alors que tout contact entre les sexes, ou entre la bouche et le sexe (ou l’anus), est sexuel, qu’il y ait ou non excitation. Et cela signifie aussi qu’un baiser sur la bouche est sexuel, mais qu’un massage des parties intimes, même avec excitation n’est pas sexuel.

Dans le Tantra, on passe facilement d’une définition à l’autre pour définir ce qui est sexuel, sachant que lorsqu’il y a pénétration des parties génitales, le passage à l’acte sexuel est manifeste. On n’utilise pas non plus la notion de « pénétration » comme un critère, car il peut y avoir des massages intimes non sexuels, et des massages sans pénétration qui peuvent être vus comme très sexuels.

On le voit, ces définitions font émerger le fait que la notion même de ce qui constitue un rapport sexuel, à une époque où la notion de sexualité s’élargit, n’est pas si simple, et laisse pas mal de place à la subjectivité.

Bien sûr, toutes les pratiques mentionnées ci-dessus doivent s’effectuer dans une relation de consentement, voire de demande de la part de la personne qui reçoit, sinon tout cela s’apparente à de la violence ou de l’agression sexuelle.

Et pour vous, qu’est ce qu’un « rapport sexuel » ? Je suis preneur de vos commentaires et remarques concernant cette définition et toutes vos précisions et apports dans ce domaine sont les bienvenus.

Namasté