Par Jacques Ferber

“Le but ce n’est pas que je te transforme en moi, mais que tu te transformes en toi”

dit Maitre Shifu au début de Kung Fu Panda 3. En quelques mots très simple, tout le processus de transformation est exprimé ici : dans le développement psycho-spirituel, il ne s’agit pas de devenir une copie du maître, du mentor ou de l’enseignant, mais de devenir soi-même.

Mais que signifie «se transformer en soi-même»? A priori je suis moi-même non? oui, bien sûr. Nous nous sentons être nous-même, mais le «moi» auquel nous nous référons n’est pas aussi libre qu’on le prétend.

Vous, moi, tout le monde, nous sommes le résultat de tout un ensemble d’influences: déterminants biologiques au départ, mais ensuite très vite, c’est l’influence familiale, puis les amis, la culture environnante qui va nous construire. La plupart du temps sans qu’on s’en aperçoive. Mais en prenant de la distance, cet ensemble de croyances, de jugements et de principes moraux que l’on appelle «culture» et qui vit en nous de manière inconscience, commence à devenir visible. Comme on peut le constater, c’est souvent en étant à l’étranger que l’on découvre que nous sommes imprégnés de notre culture nationale sans même nous en être rendu compte.

Mais qu’est ce qui nous empêche d’être nous-mêmes finalement? Tout ce que nous avons accumulés dans ces interactions, tous ces constituants culturels et sociaux, dont certains nous ont blessés d’autres nous ont aidés, dans un melting pot incroyable qui a créé ce que nous sommes maintenant.

Blessures, culture limitante et injonctions parentales

Au départ ce sont les parents au travers de leur manière d’agir – l’amour (ou le désamour), les injonctions parentales, leur façon de penser, leur comportement – qui nous construisent. Mais rapidement, et de manière évidente à l’adolescence, nous commençons à prendre conscience de cette emprise inconsciente de la culture familiale. Et souvent nous nous révoltons. En faisant l’inverse de ce que nous demandait nos parents nous nous sommes sentis libre. Mais en en prenant le contre-pied, nous n’avons fait que réagir à ce que nous avions reçu, continuant, sous d’autres formes, à vivre dans des programmes en boucle1.

Mais il n’y a pas que la culture. Il y a aussi les blessures, c’est-à-dire les traumas, légers ou importants, que nous avons vécus dans notre enfance. Les abus sexuels, les humiliations, les culpabilisations, les abandons, les exclusions, etc. Tout ce qui a créé de la souffrance en nous. Peut être que certaines situations ne se sont pas passées telles que nos neurones s’en souviennent, mais l’enfant ne voit pas tout et ne comprend pas toujours ce qui se passe: lorsque les parents rompent, la séparation peut parfois être vécue comme un abandon, voire comme une culpabilisation de l’enfant qui se croit responsable du départ de l’un ou de l’autre.

Ces blessures restent au fond de notre psyché, et cela ressort sous la forme de peurs, d’angoisses ou, le plus souvent, d’évitements. Pour ne pas ressentir à nouveau ces souffrances, nous faisons tout, vraiment tout, pour ne pas revivre des situations analogues et nous érigeons des murailles de protections en développant des personnalités narcissiques, victimaires et/ou contrôlantes. Certains tendent à en faire trop pour être aimés, d’autres à faire attention à ne pas se faire remarquer. Dans tous les cas, nous cherchons à combler tous ces manques d’amour et de reconnaissance, et à trouver d’une manière ou d’une autre un peu d’estime de nous mêmes.

Tout cela a pour conséquence que nous sommes beaucoup plus déterminés par notre passé que nous le pensons. Nous nous croyons libres quand nous satisfaisons nos désirs, quand nous suivons nos pulsions ou que nous réagissons à nos peurs issues de nos blessures. Nous nous croyons uniques en pensant que nos points de vue sont le résultats de profondes cogitations, alors que nous ne faisons bien souvent que répéter ce que nous avons entendu.

Emprisonnés dans nos cellules de certitudes et de peurs, nous réagissons en ayant des comportements addictifs, ou en nous posant en victime de la société et des autres. Tout plutôt que de sortir de notre prison. Comme si nous aimions la geôle dans laquelle nous vivons. La liberté, consiste à faire émerger et à dissoudre tout ce qui a été placé par d’autres (nos parents, la société, les amis, les abuseurs, etc.) en nous. Non pas pour se rebeller, mais pour dénouer toutes ces mémoires, tous les enchevêtrements inextricables où nous avons associé l’amour et l’abus, le plaisir et les coups, la sécurité et la réaction agressive.

Maintenant, il s’agit de garder l’amour, le plaisir et la paix, pour vivre dans le bonheur sans laisser partir le bébé avec l’eau du bain. Et, en faisant ce processus de déconstruction bienveillante, nous découvrons qu’au fond de nous se situe un trésor merveilleux, une puissance incroyable, des dons ignorés, une joie intacte. Et plus nous touchons à notre être véritable, plus nous nous élevons en même temps, plus nous devenons puissants et rayonnants, sûrs de nous tout en étant aimant et bienveillant envers les autres. Plus besoin de «se la jouer» puisque nous sommes certains de nous-mêmes. Et là, ce n’est pas une conviction envers une croyance qui peut toujours être remise en question, mais une évidence intérieure d’avoir trouvé le noyau vivant de notre être. De savoir que c’est là que nous résidons, que c’est là ce «vrai moi» que nous sommes avec toutes nos compétences et nos manques, nos lumières et nos ombres. Mais tout cela accepté, accueilli, aimé. Tel Po le Panda, nous savons alors qui nous sommes.

Les trois piliers fondamentaux du développement de l’être

Pour découvrir ce vrai «moi», nous avons besoin de 3 éléments fondamentaux, trois piliers, que nous allons devoir mettre en oeuvre pour dépasser nos cuirasses qui nous limitent, et nous ouvrir à l’avenir radieux qui nous attend:

  1. La Conscience de soi et des autres: être conscient, c’est d’abord être conscient de ses propres actes et de l’impact qu’ils ont sur les autres. C’est aussi et surtout réaliser que nous sommes, que nous le voulions ou non, les «créateurs» de notre vie, et que nous sommes responsables des situations que nous vivons. Et si nous sommes affectés par le comportement d’autrui, c’est justement parce que quelque chose dans notre histoire n’a pas bien été réglé. Mais pour «voir» ce qui se passe en nous, nos «ombres», il est nécessaire de développer un oeil acéré vis à vis de nous-mêmes, de ne pas nous ménager sans entrer non plus dans la honte ou la culpabilité. Et c’est cet oeil là, où l’on regarde en soi-même plutôt qu’en critiquant les autres, qui s’appelle la Conscience.
  2. L’Amour empathique: sous la forme d’une bienveillance envers nous et les autres. Chacun fait ce qu’il peut, comme nous-mêmes. Et nous pouvons dans cette reconnaissance, nous ouvrir doucement à l’autre. Oser baisser notre ego, qui est en même temps notre gardien, afin de, comme le dit la prière du Notre Père «pardonner à ceux qui nous ont offensés » et ainsi être pardonné de toutes les offenses, toutes les agressions, tous les jugements que nous avons commis dans notre vie. En nous connectant à notre cœur, à cet endroit vulnérable et hyper-résilient qui peut transformer les blessures en amour, nous nous lavons de toutes les scories qui adhèrent encore2.
  3. L’Énergie de vie ou Vivance: oser, se sentir vivant, plonger dans la vie. Ce n’est pas en restant assis pendant des heures que nous allons voir qui nous sommes : c’est en agissant, en rencontrant, en créant de l’interaction avec les autre, en étant vivant. Même si les pratiques de méditation sont essentielles, elles ne suffisent pas. Il s’agit aussi de sentir notre chair dans le contact avec l’autre, dans la joie de rencontrer un ami, d’ouvrir notre cœur au risque d’être blessé. La vie ce n’est pas de rester assis chez soi devant la télé ou les réseaux sociaux. Mais c’est vivre, faire l’expérience de tout cela : l’air sur sa peau, la douceur d’une caresse, la fatigue après une bonne marche, le froid de l’hiver ou la chaleur d’un été caniculaire, un repas entre amis, une rencontre sexuelle sauvage ou doucement sensuelle… Rien n’est à jeter, ni à regretter. Tout est à vivre !

Il est possible de passer des années à pratiquer le Kung Fu comme les 5 Cyclones, les acolytes du gentil Po, rester des heures en méditations ou aller au bout du monde, si cela nous permet d’accéder à ce qui est vivant en nous. Parfois nous croyons ces quêtes nécessaires jusqu’à ce que nous nous rendions compte, après les avoir vécues, que tout se trouvait déjà là, au point de départ, comme dans l’Alchimiste de Paulo Coelho.

En fait, et cela a été pour moi un enseignement considérable, il suffit simplement de rencontrer l’autre, et de se laisser prendre par la magie qui opère dès que cette rencontre est soutenue par la Conscience, l’Amour bienveillant et la Vivance. Et le Tantra, pratiqué dans un cadre sécurisé, assisté d’accompagnateurs dévoués qui ont déjà eux-mêmes avancés sur ce chemin, constitue le creuset idéal pour que cette opération alchimique ait lieu.

Dans ce chaudron tantrique, nous pouvons alors constater que nos jugements se déconstruisent, nos peurs se dissolvent, nos inhibitions disparaissent. On peut enfin se sentir libre, vivre la félicité d’être vivant, le bonheur de «faire l’amour à la Vie» et finalement, comme Po, nous transformer en nous-mêmes.


  1. Pour bien comprendre la notion de «boucle de programme» et comment nous refaisons toujours la même chose, regardez la série Westworld et dites vous que nous sommes des hosts… 😊
  2. C’est exactement ce que signifie l’expression «être lavé de ses péchés». Les péchés ne sont pas des fautes dont on devrait se sentir coupables, mais des traces de nos comportements inadéquats qui nous permettent d’apprendre et de ne pas recommencer les mêmes erreurs. Il n’y a pas de jugement moral, seulement un nettoyage énergétique.