Marie participait à son premier stage de Tantra avec une curiosité mêlée de prudence. À 42 ans, divorcée depuis deux ans, elle espérait renouer avec cette sensualité qu’elle avait trop longtemps mise de côté, à force de compromis et d’oubli de soi. Et pour cela, elle avait choisi le Tantra qui, avec son alliance unique entre sacré et spiritualité, lui semblait être la voie la plus adaptée.

C’était l’une de ses premières pratiques. Elle était devant Thomas, qui avait l’assurance tranquille des hommes habitués à diriger. Elle voyait aussi dans ses yeux, une écoute et un accueil qui lui permettait de se sentir en sécurité avec lui. L’exercice était simple, presque enfantin : se regarder dans les yeux, se toucher le bout des mains et respirer ensemble. Mais la simplicité masque souvent un pouvoir redoutable

Les premières minutes furent une épreuves. Que faire de ses mains, faut-il les laisser statique ou bien caresser l’autre ? Fallait-il sourire ou demeurer neutre, comme lors d’une inspection ? Ses pensées s’emballaient : Que pense-t-il de moi ? Mon visage trahit-il mes doutes ? Est-ce qu’il ne va pas essayer d’aller plus loin ?

Puis, peu à peu, quelque chose changea. Le silence entre eux devint tangible, comme une présence vivante. Le visage de Thomas donnait l’impression de changer de forme, voire de disparaitre par instant, et cela la troublait. En même temps, par la respiration lente et continue qui était proposée, quelque chose bougeait dans son corps, comme une chaleur étrange qui montait en elle. Ce n’était pas un feu destructeur, mais une flamme douce et enveloppante, un rappel qu’elle était bien vivante. Ses émotions, jusqu’alors calfeutrées sous une épaisse couche de raison, affluèrent comme une marée. Face à elle, Thomas respirait profondément, les yeux fixés dans les siens. Elle n’avait jamais connu une telle intensité, pas même dans ses relations les plus intimes.

Son cœur battait avec la frénésie d’un métronome désaccordé. Les yeux de Thomas, qui lui donnait de plus en plus l’impression d’être des fenêtres ouvertes sur un espace cosmique transcendant, semblaient crier « Je te vois », comme dans le film Avatar. Elle se sentit mise à nue dans son âme, comme si cet homme arrachait ses couches une à une sans jamais bouger. Et son corps était en feu. Tout en elle vibrait, comme si ses cellules avaient découvert une nouvelle fréquence, comme si quelque chose en elle s’était réveillé. Mais ce n’était pas une joie calme et tranquille, plutot un chaos : désir, peur, culpabilité, exaltation – un cocktail brûlant qu’elle n’avait pas commandé. Comment une méditation pouvait-elle provoquer une telle tempête intérieure ? Et pourquoi cet inconnu, qu’elle ne connaissait ni d’Ève ni d’Adam, lui semblait-il soudain si proche ?

Elle évita Thomas pendant le reste de la journée, tout en guettant sa silhouette. Quand leurs regards se croisaient, elle sentait une aiguille s’enfoncer dans sa poitrine. Puis vint le moment du partage en groupe. Marie écouta distraitement les autres, attendant le tour de Thomas. Quand ce fut son tour, elle découvrit qu’il était en couple.

Pour Marie ce fut comme une douche froide, un mélange de déception et de culpabilité. Elle sentait qu’elle avait commencé à imaginer un roman où elle pourrait continuer à revoir Thomas et qui sait, peut-être était il le bon ? Mais les mots de Thomas lui avaient fait l’effet d’une douche froide : Que faisait-elle ? S’embraser pour un homme qui appartenait déjà à une autre. Était-elle si naïve ? Comment réprimer ce que son cœur et son corps avaient vécu avec tant de force ? Devait-elle étouffer ce feu ou essayer de continuer à vivre quelque chose avec Thomas, bien qu’il soit en couple par ailleurs ? Était-il si immoral de le ressentir ?

Aller derrière la façade des jeux amoureux

Ce type de situation est fréquent dans la pratique du Tantra. Il illustre parfaitement le défi auquel nous sommes tous confrontés : comment accueillir la puissance de ce feu intérieur sans s’y perdre ? Comment honorer cette énergie sacrée tout en maintenant un cadre éthique et conscient ? Comment transformer cette force primordiale en un outil d’évolution spirituelle ?

Avant de parler des solutions, j’aimerais d’abord installer le contexte, et aller derrière la façade des jeux amoureux que les êtres humains se jouent depuis des millénaires, pour toucher à l’essence de la puissance de vie qui est inscrite dans Désir-Amour.

En accompagnant depuis plus de quinze ans des milliers de personnes dans leur exploration du Tantra, je suis à chaque fois émerveillé et parfois bouleversé par la puissance de cette énergie sexuelle, de cet élan vital, à la fois créateur et destructeur, qui nous anime. Cette force primitive et sacrée, que nous appelons désir, amour ou sexualité, et que j’appelle souvent Désir-Amour , traverse nos vies comme un fleuve puissant, nourrissant ou dévastant tout sur son passage.

Face à cette puissance qui nous dépasse, l’humanité semble avoir toujours oscillé entre deux extrêmes :

  1. La première consiste à réprimer cette pulsion et à vouloir la contenir comme un barrage sert à contenir la puissance des flots. Mais c’est au risque de le voir un jour se rompre sous la pression et provoquer une catastrophe en emportant tout sur son passage.
  2. La seconde consiste à laisser aller toutes les pulsions, en se laissant guider uniquement par la satisfaction de nos sens, par la réalisation de nos désirs, quels qu’ils soient. Cela peut être agréable un temps, mais la réalité nous montre, notamment par la présence de l’autre, que nos désirs, dans le domaine amoureux et sexuel, dépend des désirs de l’autre, et que la satisfaction débridée amène un jour ou l’autre à des déconvenues (manque de respect de soi, manque de respect de l’autre, perte de repères, etc).

Dans tous les cas, le barrage qui bloque tout et le torrent qui dévaste tout ne sont pas des solutions viables à long terme. Ces deux extrêmes – répression et libération – nous maintiennent paradoxalement dans une vision conventionnelle de la sexualité. Et afin de survivre, la majorité d’entre nous essaye de trouver un compromis : une sexualité qui, bien que variée dans ses expressions, reste ancrée dans un système de règles, exprimées sous la forme de lois et de normes sociales, qui prescrivent ce qui est autorisé ou non, afin de limiter les débordements, qui arrivent souvent sous la forme d’adultères ou de séparations difficiles

C’est là que le Tantra nous ouvre à une perspective différente. Alors que la sexualité traditionnelle peut être vue comme sur un plan « horizontal », il est possible de la voir aussi selon une autre dimension plus « verticale » intégrative. C’est justement ce que fait le Tantra, fondé sur une approche à la fois ancestrale et étonnamment moderne. Comme un alchimiste qui transformerait le plomb en or, le Tantra nous propose non pas de lutter contre cette force vitale, ni de nous y abandonner aveuglément, ni même de trouver un point médian entre ces deux extrêmes, mais de la transmuter, c’est-à-dire de la transformer en une énergie plus subtile, plus consciente, plus lumineuse.

Mais avant de paler de la transmutation tantrique et des espaces sacrés, explorons d’abord ce qui nous rend si humain, en allant regarder les tréfonds de notre âme.

Le “Drama” du Désir-Amour

Dans les stages de Tantra, en mettant ensemble des hommes et des femmes et en proposant des pratiques qui suscitent l’énergie sexuelle (sans le passage à l’acte), je peux à la fois m’extasier et me désespérer devant le “drama” que l’on se joue en permanence autour de l’amour, du désir, de la jalousie, et de toutes les passions humaines tout en se croyant au dessus d’elles.

Comme le disait Schopenhauer il y a deux cents ans :

« Avec la pulsion de vie, l’élan amoureux et sexuel nous apparaît comme le plus puissant et le plus énergique de tous les ressorts ; il accapare sans cesse la moitié des forces et des pensées de la partie la plus jeune de l’humanité [note: et maintenant de tous les âges]; but final de presque tous les efforts des êtres humains, il exerce dans toutes les affaires importantes une déplorable influence : à toute heure il vient interrompre les occupations les plus sérieuses ; parfois il dérange pour quelque temps les têtes les plus hautes ; il ne craint pas d’intervenir en perturbateur, avec tout son bagage, dans les délibérations des hommes d’État et les recherches des savants ; il s’entend à glisser ses billets doux et ses boucles de cheveux dans le portefeuille d’un ministre ou dans un manuscrit philosophique ; il fait naître tous les jours les querelles les plus inextricables et les plus funestes, brise les relations les plus précieuses, rompt les liens les plus solides ; il enlève à ses victimes parfois la vie ou la santé, parfois la richesse, le rang et le bonheur ; d’une personne honnête il peut faire un délinquant sans conscience ; d’une personne jusqu’alors fidèle, un être capable de tromper et de trahir ; partout, en un mot, il nous apparaît comme un démon ennemi qui s’efforce de tout intervertir, de tout troubler, de tout bouleverser. » Le monde comme volonté et comme représentation, chap 44.

Sur ce point là, le monde n’a pas changé, les nouvelles technologies nous permettant de satisfaire encore un peu plus nos “démons” comme le dit le philosophe, mais non de s’en affranchir. Et bien sûr, même si je peux l’observer sur tout un ensemble de personnes (plus de 2500 participants sont déjà passés dans Tantra Intégral), je ne me place absolument pas au-dessus. Je vis les mêmes élans et les mêmes tourments que chacun. J’ai peut-être seulement quelques outils supplémentaires qui me permettent d’en moins souffrir, mais je constate que la puissance de l’Eros, l’amour-désir qui fait que les êtres s’attirent et se déchirent, est vraiment impressionnant.

L’humanité a cherché à circonscrire cette puissance sexuelle et elle a utilisé tout un arsenal de lois, de coutumes pour contrôler la puissance, et empêcher la sexualité de s’exprimer librement. Les religions du Livre (Judaïsme, Christianisme, Islam) ont tenté d’en limiter sa puissance en l’interdisant, ou plus exactement en la contenant dans les limites du couple marié : la sexualité n’a le droit de s’exprimer qu’entre un homme et une femme qui ont unit leur destin pour l’éternité, car pour ces religions, la sexualité est uniquement destinée à la procréation. C’est pour cela que les Eglises chrétiennes ont longtemps considéré la contraception comme un péché, même si cette position évolue aujourd’hui. Cette restriction visait aussi à garantir la légitimité des enfants au sein du couple. Inutile de dire que cette règle a souvent été transgressée soit avant, soit pendant le mariage. Il suffit de regarder, dans l’histoire le nombre de “batards” ou de “filles mères” comme on disait encore dans mon enfance, ou encore d’enfants abandonnés à la naissance pour comprendre l’étendue de cette puissance qui a façonné et modifié des empires.

Les années 70 en Europe, suivant le mouvement américain des années 60, ont marqué un tournant avec la libération sexuelle. L’interdit a laissé place à la permission. Cette libération a apporté joie, vitalité et reconnexion au corps. Elle a permis d’explorer le plaisir librement entre adultes consentants. Mais comme une fête trop arrosée, elle a aussi eu ses excès et ses dérapages. C’est de là qu’est née l’importance du consentement. Au-delà du simple « Non, c’est non », une réflexion plus large s’est développée sur le respect des limites de chacun et la reconnaissance des situations qui altèrent le jugement : alcool, drogues, relations de pouvoir. »

Car en effet, si la libération a un effet bénéfique lorsqu’on sort d’une période de restriction et de répression, elle a un aussi un côté négatif lorsqu’elle devient débridée, et qu’elle déborde.

J’ai connu cela assez tôt dans mon histoire. Vers l’âge de 13 ans, ressentant un fort appétit sexuel, je cherchais à l’assouvir, comme beaucoup d’adolescents, en me caressant sur un support. Mais dans le début des années 70, il n’y avait pas Internet ni de porno sur cassette ou DVD. Il n’y avait que quelques magazines érotiques, que j’achetais emballés dans d’autres magazines par honte d’être jugé, et des ouvrages “littéraires” érotiques. C’est ainsi que je lus les Onze Mille Verges d’Apollinaire et surtout que je fis la connaissance du Marquis de Sade. Je ne conseille pas de lire Sade à aucun adolescent. Même si les débuts de la “Philosophie dans le boudoir” sont très excitants, ils tournent à un moment dans l’atrocité. Et sans parler des Justines, Juliette et encore moins des “120 Journées de Sodome” qui m’est tombé des mains à la 20ème page: trop horrible ! J’ai été ainsi confronté, avec les écrits de Sade, à l’expression du désir pulsionnel sans amour, à la justification des débordements du Ça Freudien, sans aucune limite, et surtout justifié par une philosophie hédoniste extrême du : faites tout ce que vous voulez, même les pires atrocités, car c’est Dieu qui l’a voulu. Donc, oui, je sais que la libération si elle est bonne, doit être bornée aux limites de l’autre.

Ce n’est que vers 16 ans, en lisant “Amour et Connaissance” d’Alan Watts, personnage haut en couleur, moine zen, explorateur des spiritualités orientales et speaker à la radio américaine dans les années 60, que je découvris qu’il pouvait y avoir une sexualité sacrée. Je ne pus la vivre que bien des années plus tard, mais la graine avait été semée en moi, et je savais qu’il y avait une autre voie que l’alternative entre répression judéo-christiano-islamique1, et l’expression pulsionnelle débridée. Sans connaître le Tantra, j’en avais confusément l’intuition.

Aller à la racine de notre Désir-Amour

La difficulté vient de ce qu’il ne suffit pas de déconstruire des oppressions sociales, comme on le pensait dans les années 60-70 et comme cela revient très fort aujourd’hui. Nos conditionnements psychologiques, et notamment nos blessures psychiques, ainsi que nos déterminants biologiques extrêmement puissants et en même temps totalement inconscients, sont à la base de cette oscillation entre répression et libération.

L’énergie sexuelle d’une grande part des personnes qui viennent dans le Tantra est le résultat d’une répression familiale ou d’un traumatisme, et parfois des deux. Et pour celles et ceux qui ont une libido libre, joyeuse et fluide, c’est dans leur couple que cette énergie crée souvent des problèmes, du fait des infidélités et jalousies qui ne manquent pas d’apparaitre.

Les élans, les “crushes” qui s’expriment entre participants, les histoires d’amour, les souffrances de voir l’être que l’on désire avec une autre personne ou de se sentir lâché après une nuit tendre ou sensuelle (même s’il n’y a pas eu de pénétration des sexes) sont légions. Même après des rapports consentis j’entends des personnes qui disent qu’elles ne se sont pas respectées, lorsque leur partenaire d’une nuit, leur objet d’amour, ne désire pas entrer dans une relation plus suivie.

Du fait de cette position de témoin, je me sens de plus en plus proche de Schopenhauer qui voit dans l’amour une illusion fondamentale, celle de croire que l’amour est purement personnel, le résultat d’une décision libre d’aimer celui ou celle qui nous attire, sans voir que ce sont, au niveau psychologique, les corrélâts d’une pulsion de vie fondamentale, celle qui a permis d’être ici de ce monde. Cela ne signifie pas qu’en faisant l’amour chacun a l’intention de faire un enfant, ce serait une affirmation ridicule, mais que l’élan qui nous pousse prend sa source dans une énergie instinctive profonde qui a été, comme pour beaucoup d’autres pulsions de vie, transformé par la culture.

L’évolution a séparé, chez l’être humain, la reproduction de la sexualité. Il semblerait que l’absence de signes clairement identifiable de la période d’ovulation chez la femme, ce que les biologistes appellent le « camouflage de l’oestrus », associé à l’augmentation de la complexité du cerveau, aurait nécessité de faire passer la structure cognitive des animaux d’un pur instinct reproducteur, comme on peut le voir chez des animaux plus simples comme les insectes, à un système fondé principalement sur le plaisir, comme chez les êtres humains. Et quand on regarde l’ensemble de l’évolution biologique, on peut constater que cette différenciation du plaisir et de la reproduction commence avec les grands singes, et notamment le chimpanzé et surtout le bonobo, où la sexualité sert à bien d’autres choses que la seule reproduction de l’espèce, tout en étant totalement reliée à elle.

Comment cela s’est-il passé ? Je vais ici reprendre ma casquette de chercheur en Intelligence Artificielle, mon activité professionnelle pendant quarante années. Entre les années 1990 et 2010 environ, où l’on était bien loin de ChatGPT et autres système d’IA, je faisais, avec mes étudiants, de nombreuses modélisations de systèmes sociaux, tels que des mouvements de foules lors d’une catastrophe, la pêche traditionnelle contrainte par de nombreuses règles sociales pour gérer le vivier et ne pas épuiser la ressource, l’évolution des peuplements au néolithique, etc. Nous étions en permanence en lien avec des sociologues, des psychologues, des philosophes, des géographes, des économistes, des archéologues, etc. Nous discutions aussi beaucoup avec des éthologues, car nous modélisions aussi des animaux sociaux tels que les fourmis, les loups ou les grands singes. J’étais ainsi en prise avec les grands principes de la vie, avec la manière incroyable dont l’élan de vie s’inscrit dans les créatures vivantes, du protozoaire à l’être humain. En particulier, j’adorais proposer à mes étudiants de “jouer à Dieu” en leur demandant de trouver des règles permettant à une colonie de ces créatures de survivre et de se développer. Un peu comme dans un jeu vidéo, mais avec une diffférence de taille: on écrit les règles du jeu, on lance le programme et on le laisse tourner sans interagir. On observe ainsi comment un monde peut se développer ou mourir, comment certaines règles très simples peuvent permettre l’évolution d’un groupe d’êtres vivants.

Dans le cas d’une reproduction sexuée, comment faire en sorte que des animaux se reproduisent ? S’ils sont simples (par exemple des insectes, mais aussi certaines oiseaux ou des mammifères peu évolués comme la souris), c’est facile à implémenter. Il suffit d’avoir des mécanismes de base chez le mâle du genre “Si tu reçois le signal que la femelle est fécondable, alors dirige toi vers elle et cherche à t’accoupler”. Attention: ces règles n’ont pas à être conscientes par l’animal. Elles sont simplement la traduction en langage naturel du fonctionnement du réseau de neurones dans leur cerveau.

Mais ces règles ne sont pas suffisantes avec des animaux complexes qui ont bien d’autres sujets d’intérêts, et qui gèrent une myriade de taches différentes. C’est là que la notion de tendance, ou “drive” en anglais devient très importante : tout se passe comme si, dans notre cerveau, toutes nos motivations étaient reliées entre elles, et qu’à chaque moment nous décidions, plus ou moins consciemment, de ce que nous allons faire ensuite. Ces tendances sont pondérées, comparées entre elles et nous agissons en suivant celle qui, à un certain moment, dispose du poids le plus fort, de l’intensité la plus grande. Tout cela se fait inconsciemment, les intérêts conscients étant pris comme des tendances au même titre que l’évitement des éléments désagréables (ce dont nous avons peur ou éprouvons du dégoût), ou l’attraction pour des choses agréables (ce que nous désirons, ce qui nous met en joie).

La dopamine : l’hormone du désir

L’attraction pour ce qui est agréable, c’est-à-dire pour tout ce qui touche au plaisir d’une manière ou d’une autre, est lié dans le cerveau au circuit de la dopamine, l’hormone du désir (on parle parfois d’hormone du plaisir, mais les recherches les plus récentes montrent qu’elle agit principalement sur le désir, plus que sur le plaisir lui-même, d’autres hormones, telles que l’ocytocine (l’attachement et l’amour), la sérotonine (hormone de la joie intérieure), les endorphines et les anandamides (hormones de la félicité) jouant ce rôle).

Ainsi, si une action est agréable, ou si elle me procure du plaisir, alors le cerveau envoie de la dopamine, ce qui augmente l’envie de recommencer. Et justement, tout ce qui touche au sexe et à l’amour fait partie de ces activités ayant un fort pouvoir dopaminergique, le plaisir que nous en ressentons lorsque nous désirons ou que nous sommes amoureux donnant l’envie de continuer. C’est ce qu’en anglais on appelle le “craving”, ce désir impérieux et puissant qui nous fait ressentir de la frustration ou du manque si nous ne le satisfaisons pas.

Avec un tel mécanisme d’orientation de nos inclinations, il n’est plus besoin d’avoir une règle pour chaque comportement, on peut se contenter d’en avoir une plus générale qui pourrait s’exprimer ainsi: “Si il y a une activité avec une forte récompense en dopamine (une activité avec un fort “craving”), alors cherche à l’accomplir, et ainsi à obtenir ton boost en dopamine”.

Il suffit ensuite de faire en sorte que toutes les activités fondamentales, tout ce qui nous motive profondément, toutes nos passions – mais aussi nos addictions –, s’inscrivent dans ce circuit dopaminergique.

C’est “grâce” à ce système de récompense que nous consommons du sucre et du gras en trop grande quantité alors que ce n’est pas bon pour nous, car l’évolution a relié notre besoin en aliments très caloriques, nécessaires à la survie de notre espèce, au désir pour ces aliments, par le biais de la dopamine et du désir que l’on a pour en prendre, même si on n’a plus faim. C’est pour cela que l’on prend du sucre à la fin des repas: non pas parce que c’est bon pour notre organisme, mais parce que le sucre est nécessaire à la survie et qu’il peut être consommé même quand on n’a plus faim, afin de le transformer en gras, nécessaire à notre survie dans des conditions difficiles. Les repas de banquets sont, du point de vue de l’évolution, des moments où nous pouvons nous gaver pour stocker un maximum de graisse en prévisions des temps de disette. Et nous continuons à manger du sucre à la fin des repas ou à prendre des burger au fast food du coin, même si nous n’en avons plus besoin et que la nourriture est abondante : le circuit dopaminergique fonctionne tout seul, même si ce qu’on fait vient pénaliser notre corps (l’augmentation des diabètes, de l’obésité, etc. est une conséquence de ce fonctionnement plus ou moins câblé dans notre cerveau).

La dopamine est à la base de nos comportements amoureux et sexuel. , il n’y a plus besoin de dire “reproduis toi”, mais “suis ton plaisir”, satisfait ton “craving”, et que ce plaisir permette la reproduction de l’espèce. En liant la quête hédoniste à la reproduction, notre espèce a survécu et s’est même très bien développée comme le montre le nombre d’habitants sur Terre.

C’est ainsi que l’amour romantique et le désir sexuel servent les besoins fondamentaux de notre espèce, même si nous n’en sommes pas conscients. C’est en partant de ce constat que la psychologie évolutionniste montre ainsi que nos choix, statistiquement parlant, suivent les genres de base: Sachant que les femmes portent les enfants, et que les hommes peuvent se reproduire plus facilement, les hommes sont majoritairement attirés par des femmes pouvant a priori donner de beaux enfants en bonne santé, et les femmes par des hommes qui à la fois peuvent aussi donner de beaux enfants, mais qui en plus, disposent des capacités sociales et cognitives pour permettre à ces enfants d’être bien nourris, de trouver leur meilleur place dans la société et ainsi de se reproduire plus facilement à leur tour.

Et quand on ne peut pas réaliser ces aspirations, elles se présentent sous la forme de rêveries romantico-sensuelles ou de “fantasmes” ou sens premier du mot (« fantasmata » signifie images), qui cherchent, par l’imaginaire ou dans le virtuel, à créer ce boost de dopamine, même si le passage à l’action ne se fait pas. C’est la dopamine qui dirige tout.

C’est ainsi que l’adolescent qui se caresse sur des sites porno, ou la “ménagère” qui regarde une série romantique sur Netflix, sont tous les deux mus par une pulsion de reproduction, même si le plaisir qui en résulte semble totalement déconnecté de la mission initiale de ces circuits neuronaux. Il en reste tout de même quelque chose, car l’adolescent va rechercher en majorité des jeunes femmes en âge de se reproduire 2, et la ménagère va être attirée par une histoire où un bad boy puissant devient focalisé et éperdu d’amour pour l’héroïne qui le transforme et en fait un homme aligné sur les valeurs féminines (comme on peut le voir dans le best-seller « 50 nuances de Grey », ou « Mange, Prie, Aime » dans la partie “aime”, et d’une manière générales les livres des éditions Arlequins ou les films Netflix portant la mention ‘Romantique’, où cette histoire se répète inlassablement.

Quand j’écris ces lignes, je sais déjà toutes les critiques qui se feront sur ce texte: “mais non, je ne suis pas attiré par ce genre de personnes”, “l’amour n’est pas la reproduction, vous mélangez tout”, “l’attirance n’a rien à voir avec le statut social”, “je ne suis pas attiré par des bad boys”, etc. Je comprends les critiques, et je n’ai pas la place dans cet article de développer tout ce que la psychologie évolutionniste notamment, mais aussi toutes les études sur les critères de ce que nous appelons “attirant” chez une personne, parfois qualifié de “beau/belle” ou de “charismatique”, est relié aux fonctions de reproduction. Il serait intéressant aussi de parler des phéromones, ces messagers chimiques invisibles, qui influencent nos préférences sans que nous en ayons conscience et de notre attirance préférentielle pour des partenaires dont le système immunitaire est complémentaire au nôtre, garantissant ainsi une meilleure résistance aux maladies pour notre descendance. Et bien sûr que nous ne sommes pas conscients de tout cela. Il a fallu beaucoup de recherches scientifiques sur ces domaines pour parvenir à mieux comprendre cette biologie de l’amour qui nous dirige à notre insu. Afin d’en savoir plus, je vous invite à lire quelques ouvrages dans ce domaine 3.

La difficulté de la psychologie évolutionniste vient de ce qu’elle heurte notre sens commun de choisir librement les personnes qui nous attirent. Comme la psychanalyse à l’époque de Freud, la théorie de l’évolution par Darwin, la physique relativiste et quantique et d’une manière générale la plupart des grandes les avancées des sciences, la psychologie évolutionniste bouscule notre vision du monde, en montrant que nos comportements sont le résultats de choix inconscients qui prennent leur origine aussi bien dans le giron parental (la relation à nos parents et aux personnes qui nous ont élevés) que dans les recoins de nos cellules et de notre ADN.

Notre conscience nous donne l’impression d’être aux commandes, mais elle n’est souvent qu’une voix intérieure qui justifie a posteriori des choix déjà effectués par notre inconscient biologique. A l’instar de Schopenhauer qui avait déjà compris cela il y a bien longtemps – même s’il ne connaissait pas la théorie de l’évolution – nous inventons des histoires romantiques pour donner du sens à des attractions largement déterminées par notre programmation évolutive.

Et je dois avouer que je ne cesse d’être émerveillé par le ballet permanents des attirances entre les participants des stages. Tout cela répond de manière incroyable à ce que nous prédit la psychologie évolutionnistes: je vois comment les femmes ne sont attirées que par un petit nombre d’homme (environ 20% des hommes attirent pratiquement toutes les femmes), et comment certains, a contrario, deviennent les boucs émissaires de certaines parfois à cause de leur maladresse vécue comme de la perversité (il y a aussi parfois de réels pervers, mais ils sont rapidement éliminés dans mes stages). Malheur à celui qui est trop timide et qui n’ose pas, ou pire à celui qui manque de confiance en lui et qui est maladroit, car il sera au mieux pris pour un gentil garçon, et au pire pour un pervers, car la maladresse de quelqu’un qui n’est pas attirant est souvent prise pour de la perversité. J’ai découvert cela dans les stages à regarder chacun et chacune, à contempler les jeux relationnels qu’ils jouent entre eux, les “crushes” qui se font, les stratégies des un.e.s et des autres pour satisfaire ce programme reproductif inconscient.

Mais ce n’est pas une fatalité: il n’y a pas que les facteurs biologiques et dopaminergiques qui entrent en compte. Il y aussi les conditionnements familiaux et sociaux, ainsi que l’histoire personnelle de chacun qui a donné lieu à des blessures psychiques, à des croyances limitantes. C’est pour cela que je parle des trois plans de la relation: le plan biologique qui a trait aux mécanismes de base hérités de notre évolution et qui fonctionne particulièrement dans le processus d’attraction, le plan psycho-social qui concerne les projections et les attentes émotionnelles, les conditionnements sociaux ainsi que les traumas enfouis de l’enfance, et le plan spirituel qui voit le cheminement de notre âme depuis un autre point de vue, en considérant que toutes nos rencontres ont un sens dans le cheminement de notre âme.

Dans ce que je vois, le Tantra agit sur tous les plans, en permettant de transmuter nos pulsions et les comportements de base hérités des primates, nos ancêtres, comme nous le verrons dans l’article suivant. Donc, même si je suis émerveillé, je sais que ce ballet va évoluer : lorsque les hommes timides trouvent leur puissance, lorsque les maladroits prennent un peu plus confiance en eux, ils développent un peu plus de charisme et donc d’attractivité auprès des femmes. De la même manière les femmes qui commencent à s’aimer elle-même et rencontrent leur féminité développent un rayonnement parfois incroyable. Cette transformation que produit le Tantra augmente ainsi l’attractivité des hommes et des femmes, mais elle accroît aussi leur assurance dans tous les domaines de la vie, et donc leur capacité à pouvoir réaliser leur rêves, à choisir leur vie, à ne plus être dépendant des autres, et aussi à se dégager des pulsions et croyances limitantes.

La conscience libératrice

Ce passage par la psychologie évolutionniste, par les mécanismes dopaminergiques et neuronaux semble donner une vison désenchantée de l’amour, de l’attraction et de tout ce qui touche à l’amour et à la sexualité. Pourtant, comprendre ces mécanismes ne diminue en rien la beauté de l’amour humain. Au contraire, cette conscience peut nous aider à mieux comprendre nos comportements et à faire des choix plus éclairés. “La conscience de nos déterminismes biologiques peut paradoxalement nous aider à nous en libérer partiellement”, suggère Robert Trivers, biologiste de l’évolution. En comprenant les forces qui nous animent, nous pouvons mieux naviguer dans nos relations et peut-être même transcender certains de nos automatismes.

Et c’est justement ce que propose le Tantra au travers du processus de transmutation.

  1. On disait judéo-chrétienne dans mon enfance, car l’Islam n’était pas aussi présent que maintenant, mais on parle ici des trois religions du livre dites aussi Abrahamiques, en rapport avec Abraham, le patriarche originel de ces traditions.
  2. Je simplifie car je n’ai pas parlé de l’objet d’attraction qui résulte d’une combinaison d’une base génétique et de la constitution d’un objet d’attraction lors du développement psychique de l’individu, et qui font que quelqu’un peut être attiré par d’autres éléments (fétichisme notamment) que la majorité des personnes.
  3. – Helen Fisher, Pourquoi nous aimons, Laffont 2004.
    – David Buss, Les stratégies de l’amour, éd. Interéditions, 1994 (4ème éd 2016)
    – Lucy Vincent : Comment devient-on amoureux, Paris, Odile Jacob (2004)
    – Nancy Etcoff : Survival of the prettyest: the science of beauty (2000).
    – A Taste for the beautiful: the evolution of attraction, Princeton University Press (2018)