Par Jacques Ferber,

On parle beaucoup de l’affaire des Césars et du fait que l’on ait donné la récompense de « César de meilleur réalisateur » à Roman Polanski pour son film « J’accuse » alors qu’il est par ailleurs accusé de viols qu’il aurait commis dans les années 70 essentiellement sur plusieurs (très) jeunes femmes. Je regarde cette affaire de près et, du fait que j’anime des stages de Tantra, je sais en quoi les violences sexuelles peuvent traumatiser la psyché des victimes. Je me sens aussi concerné parce que je suis un homme et que la très grande majorité des viols et des agressions sexuelles sont effectués par des hommes.

Tout le monde reconnait que Roman Polanski est un grand réalisateur, mais est ce que cela justifie la récompense que l’académie des Césars lui a décerné? On parle de distinguer l’auteur de l’homme, mais il s’agit tout de même d’une récompense personnelle: ce qui crée la polémique ce n’est pas le César des costumes ni celui de la meilleure adaptation, mais celui du meilleur réalisateur, c’est-à-dire Roman Polanski lui-même. C’est cela qui trouble les esprits, et notamment les femmes, et je les comprends.

D’abord, je voudrais vous décrire un peu toutes les étapes par lesquelles je suis passé depuis que l’on parle de Polanski et des affaires de viol dont on l’accuse. Je dois reconnaitre que dans un premier temps, je n’ai pas voulu croire que Polanski puisse être l’auteur de ces viols. Pourquoi? Pour plein de raisons. D’abord parce que j’ai beaucoup apprécié ses films qui m’ont touché au plus profond (notamment le Bal de Vampires, Chinatown, Tess, Lunes de Fiel, Le Pianiste et Ghost Writer, pour n’en citer que quelques uns) et qu’il est un très grand réalisateur.

Deuxièmement parce que Polanski a eu une vie particulièrement difficile. Il a réussi à s’enfuir enfant du guetto de Cracovie quand sa famille a été exterminée dans des camps de concentration nazis. Et puis il y a eut l’affaire Sharon Tate en 1969, sa femme alors enceinte de son enfant de 8 mois, qui a été tuée chez elle dans des circonstances effroyables par Charles Manson, un malade mental leader d’une secte.

La troisième raison qui m’est personnelle, est que je n’arrive pas à comprendre de l’intérieur de mon être, comment un homme peut violer une femme. En cela, et comme beaucoup d’hommes qui ne parlent pas mais dont j’ai pu avoir le témoignage, le simple fait de commencer à exprimer un peu d’agressivité ou de violence envers une femme n’est absolument pas excitant. Cela m’inhibe tout de suite. C’est un réflexe, je n’y peux rien, et finalement j’en suis très heureux. Mais je constate que certains hommes, à l’inverse, peuvent trouver du plaisir dans cette forme de domination violente (sans qu’il y ait consentement bien sûr, sinon c’est très différent et cela s’appelle un jeu érotique). Comment ne peuvent-ils pas voir l’humanité de celles qu’ils désirent? Personnellement, j’ai donc toujours ressenti de l’aversion pour les comportements de ces hommes qui abusent sexuellement des femmes.

Et en effet, pour avoir pas mal oeuvré dans le Tantra, domaine où l’énergie sexuelle est très présente, je sais tous les dégâts que ces abus peuvent provoquer et j’accompagne avec la plus grande compassion toutes celles et ceux (car il y a des hommes aussi) qui en sont les victimes.

De ce fait, j’ai cru pendant un temps que Roman Polanski était la victime d’une chasse aux sorcières. Et je dois dire que les cris de la foule devant la Salle Pleyel où se tenait la cérémonie des Césars m’a fait froid dans le dos. Je pense que si Roman Polanski était passé là, il aurait été lynché. Je me méfie de la violence des foules, et je n’approuve jamais les lynchages pour qui que se soit.

S’informer sans parti-pris

Mais comme toujours, je n’ai pas voulu rester dans cet état où il ne s’agissait que de mon opinion et de mon ressenti et j’ai voulu aller plus loin en me renseignant sur son cas, en allant à la rencontre des témoignage de ses victimes (ou qui s’expriment comme telles).

Et alors là je me suis rendu compte que tous les témoignages convergaient. Cette convergence est un élément très important car la sexothérapie montre qu’un sujet ayant des pulsions paraphiles (ce qu’on appelle aussi des « perversions ») passe à l’acte toujours de la même manière. Or c’est le cas avec Roman Polanski. Tous les témoignages de ces femmes très jeunes au moment des faits, sont concordants: Polanski utilise pratiquement toujours le même enchaînement de séduction suivi de produits sédatifs pour endormir sa victime et enfin de violences (. On peut être surpris qu’un homme physiquement pas très costaud comme lui puisse utiliser sa force pour assujettir une femme, mais je sais qu’il est possible d’être comme sidéré et de se figer dans une telle situation, comme une proie dans la gueule d’un fauve. C’est malheureusement un mécanisme cognitif très connu (je vous suggère d’aller regarder le témoignage de Charlotte Lewis, particulièrement édifiant).

Donc oui, je crois intimement, par la convergence de tous ces témoignages que Roman Polanski a commis des viols jusqu’en 1983 (le dernier cas revendiqué connu). Et que ces femmes ont été réellement victimes de sa violence sexuelle.

Il est regrettable que ces faits soient prescrits ou que les victimes de Polanski ne parlent que maintenant. Mais cela est compréhensible. Dans les années 1980-2000, ces voix ne pouvaient pas être entendues médiatiquement. Il suffit de voir comment a été encensé Gabriel Matzneff à cette époque là pour constater que le climat social, jusqu’à l’affaire Weinstein pratiquement, n’était pas au dévoilement des abus sexuels, surtout lorsqu’ils étaient commis par des personnalités en vue.

Malheureusement tous ces faits étant prescrits, et il ne reste plus que la violence médiatique pour contrer cette violence physique. J’aurais préféré que Roman Polanski soit condamné pour ses actes odieux à l’époque où ils ont été commis. Qu’il y ait eu une réelle justice, pour éviter celle plus vindicative des réseaux sociaux ou de la foule.

Pour autant, je voudrais qu’on sorte de la pensée binaire « il est innocent et victime d’accusations fausses » ou « c’est un monstre sans humanité ». Non pour le dédouaner de ses actes, mais pour éviter justement de le voir comme un monstre au risque, nous-mêmes, de devenir inhumain. En effet, quelque chose apparait quand on regarde la biographie de Polanski: il n’y a plus de viols à partir de 1985, le moment où il rencontre Emmanuelle Seigner. Comme si toutes ses pulsions pouvaient maintenant être canalisées par cette femme, par la puissance de son féminin. Elle est sa muse, sa déesse. On voit comment il la reconnait, lui donne des rôles, et comment elle est toujours mise en valeur à côté de lui. Bien sûr je ne suis pas dans leur couple, et il doit bien entendu y avoir des moments difficiles entre eux, mais j’ai la conviction qu’il a été transformé par elle et que l’homme qu’elle connait n’est plus vraiment celui qui a commis ces viols.

Cela n’excuse en rien son comportement passé. Mais il a le droit, comme tout le monde, à pouvoir réparer ses fautes. Ne laissons pas ses actes impunis. Ils doivent être jugés et condamnés s’ils sont effectivement avérés, comme je le crois intimement. Mais ne condamnons pas l’humanité de l’humain, la lumière divine en chacun de nous. Ne transposons pas sur autrui ce que l’on ne voudrait pas qu’on nous fasse. La violence du lynchage ne peut réparer la violence traumatisante. La vengeance n’est pas la justice. Pour autant je pense qu’il est inadmissible d’honorer cet homme dans ces circonstances. Qu’il puisse faire des films, soit, mais qu’on ne lui décerne pas de médailles pour autant.

La demande de pardon

Dans la vision chrétienne, la faute peut être lavée par des actes de contrition si l’individu s’engage dans une réelle voie de rédemption, s’il arrête de se justifier et qu’il exprime enfin sa compassion en demandant pardon aux victimes de ses violences. Et il ne peut y avoir de pardon que s’il y a demande de pardon. Ce qui n’est malheureusement pas le cas de Roman Polanski ni de Weinstein. Ni de beaucoup d’autres emmurés dans leur déni.

Je crois qu’il serait important et juste qu’il y ait une réelle demande de pardon des hommes qui ont commis ces actes odieux, pour qu’il y ait une vraie possibilité de guérison des femmes.

L’enjeu ultime, bien au delà des réparations, c’est la réconciliation et l’union. Je prône un monde dans lequel les hommes et les femmes sont totalement égaux et se reconnaissent mutuellement dans leurs similarités et leurs différences. Et que ces dernières ne viennent pas s’intégrer dans une hiérarchie quelconque mais comme une ouverture vers l’altérité et la reconnaissance de la lumière qui brille en chaque être humain, qu’il s’agisse d’une femme ou d’un homme.

Pour cela je propose ce manifeste et qu’avec moi, les hommes qui le souhaitent, nous nous levions et disions ce texte:

Moi homme, je mets un genou en terre et je déclare que je condamne et que je demande pardon à vous les femmes, pour toutes les agressions sexuelles que vous avez subies ainsi que pour tous les comportements violents et propos dévalorisants qui ont été commis contre vous.

Au nom de tous les hommes, au nom de vos pères, de vos grands pères et de vos oncles, je veux, avec tous mes frères, les hommes de lumière, laver et réparer tous les moments où vous avez été objétisées, bafouées, non reconnues, tous les moments où l’on vous a touché sans votre consentement, toutes les fois où l’on a dit “c’est pas grave” alors que vous aviez été touchées dans votre féminité.

Nous voulons condamner le déni qui a été fait depuis des millénaires envers le féminin que vous portez en vous, sisters. Nous voulons reconnaitre et honorer la merveille et la puissance du féminin incarné avant tout par vous les femmes.

Nous voulons que vous les femmes vous vous sentiez réellement en sécurité à nos côtés. Que vous ne nous voyez plus comme des violeurs et agresseurs potentiels, mais comme des partenaires, amants, frères, époux, amis, ouverts, puissants et tendres à la fois, qui avançons tous ensemble sur le chemin de la Vie.

Je désire que nous les hommes, offrions notre cœur et notre puissance pour que ces violences ne se reproduisent pas. Que notre virilité ne soit pas associée à ces agressions, que notre puissance ne soit pas prise comme une violence. Et aussi que la demande de pardon ne soit pas prise comme une faiblesse, comme une auto-castration, mais comme une force pour avancer vers l’union du masculin et du féminin. Il ne s’agit pas de se ramollir, de devenir des « petits garçons » mais bien au contraire de mettre notre puissance au service de cette union.

Je souhaite ardemment que nous puissions construire ensemble un monde où le féminin soit totalement respecté et honoré, et que vous sentiez combien nous sommes nombreux à vous chérir et à ouvrir nos bras, parfois maladroitement, mais avec l’élan du cœur.

C’est mon voeu le plus cher, et mon cheminement, afin qu’hommes et femmes, nous puissions nous rencontrer dans l’union sacrée du féminin et du masculin et bâtir une nouvelle alliance, une nouvelle humanité.

Que la Paix règne sur la Terre, que le pardon et l’Amour nourrisse nos êtres, que la Joie soit dans les coeurs.

Aho (j’ai dit !)”