par Jacques Ferber.

Dans le Tantra on parle beaucoup d’extase, mais ce terme n’est pas toujours explicité.. Je voudrais donner ici quelques éléments qui permettent de comprendre ce que l’on entend par jouissance extatique et extase en général.

Lorsque vous prenez du plaisir vous pouvez constater que la sensation de plaisir est localisée dans une partie du corps. Par exemple, si vous dégustez un bon mets ou un bon vin, votre plaisir va se trouver initialement dans la bouche, et si l’on vous masse le visage, c’est précisément sur le visage que vous allez ressentir la douceur des doigts qui vous masse et votre sensation de plaisir partira de votre visage. Lorsqu’on fait l’amour c’est pareil : le plaisir se situe dans le sexe. Si l’on fait monter la stimulation dans le sexe, le plaisir va rester dans le sexe en augmentant d’intensité. La tension du désir s’accroît et lorsque l’orgasme nous prend, c’est essentiellement au niveau du sexe que l’on ressent la grande sensation de plaisir, doublée souvent d’une sorte de congestion dans le visage, due à la contraction des muscles et à la respiration accélérée.

A l’inverse, l’extase (ou “bliss”) n’est pas un orgasme, mais une sensation de bien être et de contentement qui semble partir de l’intérieur du corps, le plus souvent la tête, comme si notre crâne augmentait de volume, pour emplir au fur et à mesure tout le corps. Elle est parfois associée à une sensation «océanique» ou «cosmique», l’impression de se dissoudre dans une mer immense, de dépasser les dimensions de son corps, et de remplir tout l’espace. Pour certains, il peut s’associer à l’impression qu’une sorte de fluide dense, pétillant et chaud, un peu comme du miel vibrant qui emplit tout le corps. Pour d’autres il peut s’agir d’une sensation lumineuse qui envahit tout l’être.

Lorsqu’en plus nous portons notre attention sur le coeur (en fait le 3ème chakra, Anâhata en Sanskrit, qui se situe au milieu du sternum, c’est le coeur énergétique), nous pouvons ressentir un amour puissant et inconditionnel envers le monde. Ce n’est plus un amour porté sur quelqu’un ou quelque chose, mais un amour sans objet véritable, qui nous fait aimer tout ce que notre regard contemple, qui nous fait voir le monde dans sa beauté, dans son merveilleux. Le divin est là, en nous, autour de nous, dans cette ivresse sublime du corps et du coeur. On le sent alors : il n’y a rien à aller chercher au-delà, tout est là, dans cette présence à soi, au monde et au divin.. Cela se traduit par l’expérience du lien intime que nous avons avec tout ce qui nous entoure : nous faisons partie de cette création qui est devant nous, en nous, autour de nous…

L’extase comme porte d’accès au spirituel

C’est en cela que l’extase s’inscrit dans une approche spirituelle : ce n’est pas juste une recherche hédoniste de sensation agréable, même si le plaisir est bien présent, mais un outil de transformation. L’extase nous conduit à changer notre rapport au monde, en nous inscrivant au travers de cette expansion du corps et du coeur dans quelque chose de plus grand que nous, qui nous fait entrer dans ce que les évangiles appellent le Royaume de Dieu, c’est à dire l’éternel présent de l’Être ici et maintenant.

Alors, je vous sens tout émoustillé : “et comment obtient on cette sensation de félicité ?” Et bien, comme souvent dans le domaine du spirituel, c’est à la fois très simple, quand on a déjà vécu cette expérience et qu’on sait comment parvenir à cet état (on peut plonger dans cet état en quelques secondes), mais aussi très difficile à trouver et cela peut prendre parfois des mois, voire des années si l’on cherche au mauvais endroit. La clé de l’extase c’est la relaxation, la détente totale du corps et de l’esprit. Pour cela prévoyez d’avoir un peu de temps devant vous et enlevez de votre tête toutes les préoccupations quotidiennes. Asseyez vous le dos droit sur une chaise (ou mettez vous en position de type “lotus” si vous préférez mais ce n’est pas indispensable), et concentrez vous sur votre respiration (inspire par le nez et expire par la bouche, c’est le plus simple et le plus efficace). Relâchez votre corps, votre visage et plus particulièrement le sommet du crâne. Puis inspirez en contractant le muscle du périnée (aussi appelé muscle PC). Si vous ne savez pas lequel c’est, contractez l’anus et tout ce qui se trouve autour (vagin pour les femmes, verge pour les hommes), comme si vous vouliez faire monter un liquide dans votre corps depuis le bassin jusqu’au crâne et relâcher les muscles à la moitié de l’inspire environ. La contraction est là juste pour donner l’impulsion initiale. Faites cette contraction musculaire sans vous crisper, de manière détendue. Puis expirez en vous détendant totalement, sans vous contracter (ce n’est pas une respiration de type yoga, ou type art-martiaux, l’expire doit être très décontracté, plein de plaisir). Pendant cette respiration, vous pouvez bouger légèrement votre bassin d’avant en arrière en rythme avec la respiration et de manière sensuelle. Cela permet de mieux ressentir la montée de cette énergie. Soyez doux, calme, lent et sensuel(le). Refaites cette opération plusieurs fois, sans renoncer mais sans non plus y mettre de tension. Evitez les jugements du genre “si je n’y arrive pas, je suis nul(le) !” ou les défis “j’y arriverai coûte que coûte, dussé-je y passer toute l’après-midi”…

6e3cd61d7024d28f9ba06296b25ae860Et puis, après tout cela, si vous n’y arrivez pas, vous pouvez aller dans un stage de tantra (j’en connais des bons )… D’une manière générale, il est important de faire relativement le vide dans son esprit, de ne pas se parler dans la tête et de porter son attention uniquement sur son corps. Comme dans tous les exercices énergétiques et spirituels, le mental constitue un frein car il nous place dans un état de tension et il nous fait quitter notre relation au corps et à l’instant présent. Au contraire, la clé de l’extase se situe dans la présence à soi, à l’autre et au monde, dans l’accueil de ce qui vient, sans jugement, sans chercher à obtenir un phénomène, mais en laissant le phénomène advenir en nous. Dans ce domaine, il s’agit d’être totalement dans son aspect féminin. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les femmes viennent facilement et assez naturellement à la sexualité extatique…

L’extase ne résulte pas d’une excitation sexuelle

Il est possible aussi d’y associer le plaisir sexuel. C’est plus facile de pratiquer seul dans un premier temps. Lorsque l’excitation sexuelle est déjà là, on se relâche et on continue doucement l’excitation manuelle tout en appliquant les exercices respiratoires décrits précédemment. Il s’agit de faire monter l’énergie de l’excitation et de la diffuser dans le corps. On peut ainsi s’auto-caresser le corps dans son intégralité et le visage pour diffuser cette énergie sexuelle et ainsi la transmuter. On peut alors “jouer” avec cette sensation de félicité (bliss) et l’excitation sexuelle, de manière à ce que la seconde serve de moteur tout en étant transformée par la première.

Bien qu’elles soient proches, il est important de ne pas confondre l’excitation sexuelle et cette énergie extatique, cette énergétisation subtile du corps du crâne et du coeur qui produit cette félicité . C’est d’ailleurs cette confusion qui est source de beaucoup d’ambiguïtés et de projections sulfureuses vis à vis du Tantra.

orgasme extatiqueSa diffusion douce peut éventuellement s’accompagner de courants énergétiques qui montent ou qui descendent le long de la colonne vertébrale et qu’on peut appeler vagues énergétiques. Parfois ces dernières se transforment en “langues de feu” dans le dos, ou en “bouffées d’énergies”. Parfois aussi, cette montée d’énergie s’accompagne de mouvements incontrôlés du bassin, comme des sortes de vibration. C’est tout à fait normal: c’est l’énergie qui trouve son chemin. Ces expériences sont généralement associées à une joie ineffable sans objet, à une paix intérieure, un calme profond même dans des mouvements débridés. Lorsqu’elles ces énergies explosent en bouffées d’extase, on parle alors d’orgasme extatique qui laisse totalement pantois la personne qui l’a vécue et qui s’accompagne de transformations importantes au niveau de l’être. Celui ou celle qui l’a vécu parle alors d’expérience d’Union Cosmique, d’Amour Divin, de dissolution totale dans le Grand Tout, de retour à la Source… Les mots ne peuvent pas réellement décrire réellement ces sensations et l’on utilise donc des métaphores pour en parler.

Comme ces phrases le laissent bien supposer, ce processus extatique n’est pas simplement un “jeu” sexuel et sensuel, mais surtout le support d’une démarche spirituelle. Sans cette intention, les phénomènes décrits ici ne s’incarnent pas réellement dans l’être et restent beaucoup plus éphémères.

En écrivant ces lignes, pour mieux ressentir ce que j’écris, je me suis simplement relâché dans le crâne et j’ai fait quelques unes de ces respirations, et la félicité extatique est arrivée aussitôt… Ce qui a effectivement ralenti l’écriture . En plus j’écoutais le merveilleux “songs for a world apart” de Armand Amar et Lévon Minassian), dont la musique sublime (le Doudouk arménien) qui touche directement au coeur nous fait plonger au centre de cet amour total, inconditionnel et sans objet dont je parle plus haut. Je vous conseille ce disque à consommer sans aucune modération. Tout cela m’a plongé dans le plus pur ravissement, au moment même où j’écrivais ces lignes.. Mais en me relisant, j’ai vu toute la différence entre la platitude des mots et la profondeur du ressenti.. C’est ainsi. Les mots ont leur fonction mais aussi leur limite, et l’expérience dans ce domaine est essentielle.

J’avais écrit ce petit texte en 2008 pour un site, ‘intimefeminin.com’ qui est aujourd’hui disparu. Heureusement, Karen l’avait gardé sur Epanews, et lors d’une recherche «par hasard» je l’ai retrouvé. Il n’a pratiquement pas pris une ride. Je l’ai simplement corrigé et un peu modifié pour tenir compte de la manière légèrement différente dont je vois les choses aujourd’hui, mais l’essentiel était déjà là. Je me souviens encore de l’extase du coeur que j’avais ressenti en écrivant cet article et en écoutant le doudouk de Levon Minassian, un morceau que j’utilise souvent dans mes stages. Personnellement, comme la plupart des tantrikas qui pratiquent ces techniques (car il s’agit ici d’un «yoga», c’est-à-dire d’une technique), je peux ressentir cette félicité en quelques respirations, et cela m’arrive parfois dans des circonstances qui n’ont rien à voir avec la sexualité : dans une assemblée de travail, en marchant, en faisant des courses, etc. La Vie est belle